Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/463

Cette page a été validée par deux contributeurs.
459
L’ALGÉRIE.

à Paris les Auvergnats et les Savoyards. D’Aïn Mahdy[1], situé à soixante-quinze lieues sud-est d’Oran et cent lieues sud-sud-ouest d’Alger, sortent les El-Aghrouaths, qui sont portefaix ; de Biscarah, placée entre Constantine et Tuggurth, sortent les Biscris, qui sont bouchers, et entre les Biscris, à l’est, et les El-Aghrouaths, à l’ouest, sont les Mozabites, qui viennent à Alger faire le service des bains. Ces émigrans forment à Alger trois corporations renommées par leur fidélité et leurs habitudes laborieuses : elles entretiennent une correspondance régulière avec les pays dont elles sortent. Elles ont un double intérêt au commerce, puisque d’une part la prospérité d’Alger fait leur fortune, et que de l’autre leurs pays servent de passage et de stations aux caravanes. Par elles, nous avons sur le commerce de l’Afrique un moyen d’action que nous aurions grand tort de négliger.

Mais pour profiter de cette prise qui nous est offerte, il faut, comme Napoléon en Égypte, nous porter pour les protecteurs du commerce et des caravanes. Nous avons deux raisons pour agir ainsi : de cette façon nous ferons du mal à notre ennemi, et nous nous ferons du bien à nous-même. La liberté du commerce en Afrique est contraire à la puissance d’Abd-el-Kader. Le commerce rapproche de nous les Arabes, et les gagne à notre civilisation. De ce côté, le traité de la Tafna avait pour Abd-el-Kader un grand danger ; il stipulait la liberté de commerce entre les Arabes et les Français, et cette clause, si Abd-el-Kader l’eût exécutée, eût ruiné sa puissance. Avec cette liberté, des liens d’intérêt s’établissaient peu à peu entre les Arabes et les Français, et l’influence politique que le commerce exerce en Afrique passait entre nos mains. À ce sujet, il est curieux d’étudier rapidement la conduite d’Abd-el-Kader à cette époque.

Abd-el-Kader, qui sait l’ascendant que le commerce a en Afrique, voulait le concentrer entre ses mains par politique et par cupidité. Pèlerin de la Mecque, il avait vu en Égypte les monopoles de Méhémet-Ali ; comment, à l’aide de ces monopoles, Méhémet-Ali avait une flotte, une armée ; comment en même temps, traitant seul avec les Européens, il empêchait entre les Européens et les Musulmans un rapprochement qui eût pu nuire à sa puissance. Il voulut imiter Méhémet-Ali et créer des monopoles. Mais ces monopoles étaient contraires au traité de la Tafna et nous donnaient un grief contre

  1. Le cheik d’Aïn-Mahdy, Tedjini, jadis vassal des Turcs, s’est récemment fait connaître en Europe par ses démêlés avec Abd-el-Kader.