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L’ALGÉRIE.

courage, louait le courage du jeune abbé. Je ne sais si je me trompe, mais les conversations du jeune prêtre avec nos soldats et nos officiers, pendant les fatigues et les périls de la route, jusqu’à Tekedempt, ces causeries sur la destinée de l’ame après la mort, interrompues peut-être par les balles des Arabes, doivent valoir bien des conférences théologiques.

Comparez d’ailleurs l’auditoire de l’église en France avec l’auditoire de l’église d’Alger : ici des discuteurs blasés qui disputent de tout, quoiqu’ils soient indifférens à tout, qui assistent aux sermons par curiosité littéraire, qu’on convainc inutilement, parce que le mal n’est pas dans l’opiniâtreté de l’esprit, mais dans la faiblesse des caractères, devenus aussi incapables de piété que d’impiété ; une vieille société enfin, dont il faut soutenir et ranimer les ames plutôt encore que les convertir, des oisifs, des mécontens, des impatiens, des malades moraux plutôt que des malheureux ; voilà en France l’auditoire de l’église. En Alger, au contraire, l’église a affaire à l’armée et aux Arabes : à l’armée, c’est-à-dire à des hommes qui ont beaucoup d’orgueil, mais de cet orgueil militaire qui fait l’honneur, et non de cet orgueil de l’esprit qui fait qu’on ne veut croire que soi, et qui rend si pénible le joug d’une croyance commune. Dans l’armée, on est habitué à agir en commun ; on est aussi habitué à obéir, et l’individu n’apprend nulle part mieux que dans l’état militaire à s’incliner devant la règle. C’est, de ce côté, un apprentissage et un noviciat de la foi, et cela m’explique pourquoi, dans le clergé, il y a beaucoup d’anciens militaires ; dans les deux états, en effet, on apprend également à obéir. Je remarque aussi que, dans une armée, et surtout dans une armée qui fait la guerre tous les jours, les sentimens sont plus en jeu que les idées : on sent plus qu’on ne pense, il y a plus d’émotions que de méditations ; et cela encore est un excellent apprentissage de la religion, car elle prend plus d’hommes par le cœur que par l’esprit, et c’est au cœur, c’est aux sentimens surtout que la religion s’adresse, puisqu’elle prétend les régler, et qu’elle demande souvent aux passions elles-mêmes les armes qu’il lui faut pour les vaincre. Je conclus de tout cela que cet assemblage d’hommes actifs et laborieux, d’hommes simples, quoiqu’éclairés, qu’on appelle une armée, est, pour l’église, un meilleur auditoire que notre société oisive et raisonneuse.

La population civile d’Alger offre aussi beaucoup de prise à l’église. Celle qui vit dans la campagne occupée d’agriculture et exposée aux attaques des Arabes, sent fort lien l’utilité de ces sentimens de piété