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le vieux génie religieux de l’Orient s’est éveillé, et l’Arabe s’est demandé de tentes en tentes ce que pouvait être un peuple qui semblait n’avoir pas de Dieu ou qui l’oubliait. Les peuples nomades ont d’autant plus besoin de religion qu’ils n’ont pas de patrie ; et, comme il faut toujours que l’homme rattache sa faiblesse individuelle à quelque chose de plus grand ou de plus haut que lui-même, le nomade errant dans ces sables mouvans qui ne peuvent pas supporter une patrie, le nomade se rattache à Dieu qui ne change point. D’ailleurs, si dans la civilisation telle que nous la faisons, l’homme, grace aux jouissances de toutes sortes qu’il s’est ménagées, peut oublier un instant sa faiblesse individuelle, si le nombreux attirail de ses ressources grossit à ses yeux l’idée qu’il a de lui-même, et lui cache son délaissement naturel, il n’en est point ainsi pour le nomade, qui sent chaque instant son dénuement et sa misère. Comme, en Orient, la religion est le lien principal des sociétés, comme elle est le principe de toute autorité civile et politique, les Arabes n’ont pas compris notre société séculière, et, tandis que nous étions tentés de les traiter de barbares, parce qu’ils n’avaient pas nos arts et nos sciences, ils étaient tentés, de leur côté, de nous prendre pour des barbares, puisque nous paraissions à peine avoir une religion, mais pour des barbares adroits et industrieux. Chose singulière ! nous avions craint d’être détestés comme chrétiens, et nous l’étions encore plus comme impies, si bien qu’en Afrique il a fallu, dans l’intérêt de notre domination, s’appuyer non plus seulement sur l’armée et sur l’administration, mais sur l’église, et avoir un évêque en Algérie comme nous y avons des soldats, des administrateurs et des magistrats. C’est alors seulement qu’aux yeux des Arabes, nous avons paru un gouvernement régulier. De tous nos établissemens en Algérie, le plus fort et le plus efficace, c’est l’évêché ; c’est celui qui a le mieux montré aux Arabes que nous voulons fonder en Afrique une puissance durable.

Et qu’on ne croie pas qu’en expliquant la leçon que le génie théocratique et religieux de l’Orient a donnée à l’esprit séculier de notre Occident, je cède à l’envie de faire un paradoxe. Je trouve à ce sujet, dans le livre de M. Baude, des détails curieux et qui font très bien comprendre comment, la religion étant l’idée dominante des Arabes, il vaut encore mieux, pour communiquer avec eux, avoir une religion différente de la leur que de n’en pas avoir du tout. Il y a, en effet, pour n’être pas entendu en pays étranger, quelque chose de pire que de n’en pas parler la langue, c’est d’être muet.

Le prince de Mir, réfugié polonais, avait fondé, raconte M. Baude,