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l’Italie, l’Espagne et l’Afrique septentrionale, nous avons dans ces deux pays, auxquels il faut ajouter Malte, une population européenne toute prête à venir s’établir en Algérie. Déjà même, malgré les incertitudes de notre domination, déjà le mouvement d’émigration est commencé. C’est à nous de l’encourager. Je sais bien que quelques esprits difficiles diront que, de cette manière, la colonisation de l’Afrique septentrionale ne sera française que par les charges que la France supportera seule, tandis que toutes les nations jouiront commodément des bénéfices de notre conquête et de notre occupation. Cela est vrai, dirai-je avec M. Baude, et cela est bon. À Dieu ne plaise que je veuille dissuader de leurs projets ceux d’entre nous, ouvriers, bourgeois ou paysans, qui voudraient aller s’établir en Algérie ! mais, comme en France, malgré les plaintes, la vie est douce et facile, comme tout le monde y trouve à gagner son pain, peu d’entre nous quitteront cette terre où l’on a du travail pour vivre et même du loisir pour se plaindre, afin d’aller braver en Algérie le danger du climat et le danger de la guerre. Il ne faut donc pas beaucoup compter sur la France pour coloniser l’Afrique. L’Espagne, l’Italie, Malte, suppléeront à la France ; et ne nous en plaignons pas, car il faut choisir entre l’Afrique à la fois discrète et ennemie et l’Afrique cultivée par des mains qui ne seront pas toutes des mains françaises. Qui peut hésiter ? M. Baude a raison de dire que notre établissement doit être un établissement européen, et non pas seulement un établissement français. Telle est, après tout, sachons-le bien, la condition des colonies et des villes qui sont fondées de nos jours. Elles sont fondées par un peuple mais elles sont fondées pour tous les peuples. Le génie cosmopolite préside aux cités nouvelles : Odessa, au fond de la mer Noire, n’est pas une ville russe, c’est une ville cosmopolite, c’est une société mêlée de tous les peuples de l’Europe et de l’Asie. Les villes qui datent de notre siècle en ont le caractère : elles n’ont rien d’exclusif, rien de national ; elles appartiennent à tout le monde ; elles sont bâties sur le même patron, et, grace à cette conformité admirée, un voyageur qui s’est endormi à Odessa peut se réveiller à Pest ou à Trieste, ou dans toute autre ville bâtie ou rebâtie de nos jours, il ne s’apercevra presque pas qu’il ait changé de place en dormant. Ajoutez que, d’un bout de l’Europe à l’autre, les mœurs et les usages prennent, comme les maisons, le même air et la même allure. N’espérons donc pas, dans cet état du monde, faire d’Alger une ville française : Alger sera une ville cosmopolite sous la domination française, comme Odessa sous la domi-