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tableau, d’un noble et grave caractère, représentait Saint Paul imposant ses mains aux malades. La composition nous en a été conservée par la gravure : elle semble écrite sous la dictée du Poussin.

Mais, pendant que le grand peintre se livrait sans bruit à ses travaux, sans autre distraction que la compagnie de Lesueur et de quelques amis de jeunesse qu’il avait retrouvés à Paris, l’intrigue ne cessait de grandir sourdement : déjà même elle avait tant fait et tant dit contre lui, que ses protecteurs, M. Desnoyers, M. de Chantelou, le roi et jusqu’au cardinal, paraissaient ne le plus soutenir qu’à demi, et trouvaient sans doute qu’en le faisant venir ils s’étaient mis sur les bras une méchante affaire. Les attaques devinrent enfin si vives, que Poussin n’eut plus le courage de les mépriser. Il quitta ses pinceaux et prit la plume.

La querelle s’était animée à l’occasion du Miracle de saint François Xavier, qu’on avait exposé dans l’église des jésuites vis-à-vis d’un tableau de Vouet, tableau d’une fadeur plus qu’ordinaire. On donna la palme à Vouet, cela va sans dire ; puis il fallut faire le procès au Poussin : on prouva que son tableau était d’une immobilité glaciale, et on demanda ce qu’on pouvait penser d’un homme qui poussait la manie des statues antiques jusqu’à donner à son Christ la figure d’un Jupiter tonnant. Peu s’en fallut qu’on n’invoquât les foudres canoniques.

Poussin fit une excellente réponse : « Quant au Christ, dit-il dans sa lettre à M. Desnoyers, je n’en ai pas fait un Jupiter, j’ai seulement voulu lui donner la figure d’un dieu et non pas un visage de torticolis ou d’un père Douillet. » C’était caractériser en deux mots la mollesse contournée, non seulement de Vouet et de ses élèves, mais de Lahire qui prétendait faire école à part et de presque tous les autres peintres alors en réputation.

Jusque-là on s’en tenait aux plaisanteries : les grandes fureurs éclatèrent à propos de la galerie du Louvre. Le Poussin avait été chargé par le roi d’en régler et ordonner les décorations : il pensait que cela voulait dire qu’un plein pouvoir lui était donné pour disposer tout selon son goût. Mais sans compter Vouet, qui prétendait avoir des droits sur ce travail, deux autres adversaires vinrent le lui disputer : d’abord Lemercier, architecte du roi, qui avait fait un projet de décoration pour la galerie et qui l’avait même déjà mis à exécution, puis Fouquières, peintre de paysage flamand, qui s’était fait donner par le surintendant des bâtimens, l’ordre de peindre une ville de France sur chaque trumeau de la galerie. Ce Fouquières avait été in-