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L’ALGÉRIE.

que, dans les fables même du vieil Atlas[1], il n’y a rien qui ne vienne de l’Europe, est remarquable sous le pouvoir même des Turcs. Ce ne sont plus alors les Européens qui possèdent et gouvernent le pays, comme pendant quinze cents ans, depuis la fondation de Carthage jusqu’à la conquête des Arabes ; cependant c’est une population européenne qui encore alors fait la force de l’Algérie. M. Baude a essayé de déterminer le nombre des esclaves chrétiens à Alger au commencement du XVIIe siècle, et, d’après l’Africa illustrata de Cramaye, publiée en 1622, il porte ce nombre à trente-cinq mille esclaves. Il faut ajouter à ce chiffre de la population européenne deux mille familles de Maures d’Espagne récemment chassées des royaumes de Grenade, de Murcie, de Valence et d’Aragon[2] ; plus (toujours selon Cramaye) six mille familles de renégats. D’après ces évaluations, la population européenne à Alger atteignait le chiffre de soixante-quinze mille ames environ, et la population générale de la ville n’allait guère au-delà de cent mille ames. L’Europe, sur ce chiffre, avait donc les trois quarts, et encore cette population européenne était celle qui travaillait aux jardins, aux métiers, à la marine, celle enfin qui faisait la puissance d’Alger. J’ajoute que, parmi les esclaves européens, le plus grand nombre appartenait à l’Espagne, à l’Italie et

  1. Le vieil Atlas régnait, dit-on, dans l’Afrique septentrionale, et il avait pour fils Hespérus, pour femme Hespéris, pour filles les Hespérides, personnages divers qui expriment tous l’idée de l’Occident, car c’est là le sens que les Grecs attachent au nom d’Atlas, et voilà pourquoi ce nom, soit qu’il désigne un personnage mythologique, soit qu’il désigne une montagne, recule et s’enfonce dans l’Occident à mesure que les Grecs apprennent à mieux connaître l’Occident.

    Hérodote, se conformant à la signification géographique que les Grecs donnaient à ce nom d’Atlas, a placé aussi son peuple des Atlantes à vingt jours de marche à l’ouest des Garamantes. Les Atlantes sont, pour Hérodote, le peuple le plus occidental de l’Afrique.

    Ce qui me frappe dans l’histoire fabuleuse d’Atlas, outre sa vocation occidentale, c’est que les principaux traits de cette histoire répondent aux traits généraux de l’histoire de l’Afrique septentrionale. Ainsi, les sept filles d’Atlas, les belles Hespérides, sont enlevées par Busiris, roi d’Espagne selon Diodore, ou tyran d’Agrigente ; et je retrouve ici cette relation entre l’Afrique et l’Espagne, entre l’Afrique et la Sicile, qui est un des caractères de l’histoire de l’Afrique septentrionale. Il y a plus : selon Varron, Phorcys, roi de l’île de Corse, perdit la vie dans une bataille navale contre Atlas. Ainsi se montrent et s’entrevoient déjà, à travers les fables d’Atlas, les expéditions des Carthaginois, des Arabes et de tous les conquérans de l’Afrique, en Espagne, en Sicile, en Corse et en Sardaigne.

  2. J’évalue ces deux mille familles à dix mille individus, en comptant cinq têtes par famille, le père, la mère et trois enfans. Ce n’est pas trop, puisque ce sont surtout des familles d’ouvriers.