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dans l’Algérie ce qui tient à l’homme et ce qui tient à l’action de la nature, action puissante, quoique cachée, et qui corrige doucement les bévues de la sagesse sociale. Les sociétés, en effet, périraient souvent par ce qu’elles font, si elles n’étaient sauvées par ce qu’elles laissent faire.

J’ai déjà signalé cette loi de la destinée qui semble lier l’Afrique septentrionale au sort de l’Europe. La géographie, de ce côté, rend le même témoignage que l’histoire. À considérer sur la carte l’Afrique septentrionale, placée entre la Méditerranée, l’Océan atlantique et le grand désert, trois mers qui l’entourent, elle forme, pour ainsi dire, une grande île entre l’Europe et la véritable Afrique. Aussi les géographes orientaux l’appellent-ils l’île d’Occident[1]. De même que la partie de l’Asie qui penche vers la Méditerranée, l’Asie mineure, se rattache à l’Europe par sa géographie et par son histoire, de même l’Afrique septentrionale, qui pourrait aussi s’appeler l’Afrique mineure, penche vers l’Europe, et s’y rattache par sa configuration géographique et par sa destinée historique. À l’ouest, elle touche presque à l’Espagne, dont elle n’est séparée que par le détroit de Gibraltar. À l’est, du haut du cap Bon, l’ancien promontoire de Mercure, on aperçoit les montagnes de la Sicile ; le cap Rosso, près de Bone, correspond à la pointe méridionale de la Sardaigne ; et l’Espagne, la Sicile et la Sardaigne, qui sont les vis-à-vis géographiques de l’Afrique septentrionale, sont liées aussi à son histoire d’une manière fort étroite. Le climat, les animaux, la végétation de l’Afrique septentrionale, témoignent de la même parenté entre le nord de l’Afrique et le sud de l’Europe. Au-delà du Sahara seulement commence un autre monde, le véritable monde africain. Là, tout est différent de l’Afrique septentrionale et de l’Europe, hommes, animaux, climat, végétation ; enfin, comme si la nature elle-même avait voulu exprimer aux yeux cette opposition, les escarpemens les plus abruptes de l’Atlas sont du côté du désert, et l’Atlas s’élève en face du Sahara comme un mur inaccessible, où s’entrevoient à peine quelques défilés, quelques portes laissées ouvertes du côté du monde nègre, tandis qu’au nord et vers la Méditerranée l’Atlas s’abaisse plus complaisamment et descend par étages, comme pour appeler et admettre les peuples de l’Europe. Ceux-ci n’ont point manqué de répondre à cet appel.

Cette vocation européenne de l’Afrique septentrionale, qui fait

  1. Ritter, Géographie de l’Afrique, tom. ier, pag. 884, édit. allem.