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à l’opinion qu’au talent. À la faveur de ces préoccupations royalistes et libérales, que de médiocrités montèrent au Capitole ! Notre temps a au moins sur la restauration cet avantage, que de pareilles illusions ne sont plus possibles. On s’informe moins de ce que vous pensez, et plus de ce que vous valez ; le masque d’un parti ne réussit plus à déguiser la nullité des personnages. Si les individualités ont plus de peine à se faire jour, elles doivent du moins leurs succès surtout à elles-mêmes. Il y aurait une sévère justice à exercer si l’on voulait apprécier au point de vue désintéressé de l’art et de la science certaines fortunes littéraires, ouvrage de coteries dissoutes et de passions oubliées. Quelle déroute, bon Dieu ! Que de gloires qui ne tiendraient pas ! Mais à quoi bon troubler ceux qui gardent un silence prudent ? La faute impardonnable de M. Guiraud est d’avoir écrit après avoir été nommé à l’Académie : il n’a pas compris que, porté au fauteuil par le caprice du sort, il devait s’y ensevelir dans un repos éternel ; il n’avait que cette manière de jouir impunément de son immortalité.

L’orgueil l’a perdu : il a oublié cette parole de L’Écriture, initium omnis peccati superbia. Il a voulu sonder les abîmes. M. Guiraud s’exprime ainsi quelque part : « Avec M. de Maistre, ou au-delà de M. de Maistre, nous pensons… » M. Guiraud pensant quelque chose au-delà de M. de Maistre, quelle modestie ! Mais ne serait-il pas encore temps pour l’auteur de la Philosophie catholique de revenir à des idées plus sages ? Dans la préface de son second volume, qui finit entre le déluge et la tour de Babel, M. Guiraud annonce qu’il continuera, et que contre son œuvre protestent vainement des soins de santé et de fortune ; ce qui veut dire sans doute qu’il imprime à ses frais un ouvrage qui se vend peu, et que, pour le composer, il s’est rendu malade. Pourquoi tant de tracas, tant de soucis ? Que dans sa retraite M. Guiraud sache en goûter les charmes : il est si bon de ne rien faire ! Enfin, s’il faut un aliment à son activité inquiète, il pourrait compter quelques vers, non plus de ces vers tragiques dont le souvenir le remplit encore d’un repentir poignant,

Mais de petits vers doux, tendres et langoureux.

Il vaut mieux chanter le petit savoyard que défigurer Dieu et l’homme dans une théodicée grotesque.


Lerminier.