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Eh bien ! nous voilà à moitié chemin pour arriver aux révélations de M. Guiraud ; il ne pense pas que les enfans avant la chute dussent se faire par l’oreille, mais par la bouche, et c’est le baiser qui était alors un moyen de réunion, de reconstitution d’unité. Le baiser, s’il faut en croire l’auteur de la Philosophie catholique, indique à cet égard plus qu’il n’exprime actuellement ; il est spécial à la nature humaine, c’est l’organe du cœur ; saint Paul l’appelle saint dans plusieurs de ses épîtres, l’église le reconnaissait comme un gage de paix et d’union entre les fidèles. Quant à la bouche, elle a dû, dans l’état primitif de l’homme, occuper le premier rang dans l’organisation humaine, car l’homme avait alors plus à communiquer à la nature qu’il ne recevait d’elle. Ainsi Adam n’avait qu’à souffler sur la nature et sur sa femme pour se multiplier à l’infini.

Un si heureux état a été détruit par le péché originel. Au milieu du paradis terrestre, il y avait un arbre portant des fruits dont un ordre divin avait interdit l’usage à Adam et à sa compagne. Ces fruits, M. Guiraud en connaît la nature, c’étaient des fruits empoisonnés, tirant toute leur substance des entrailles de la terre, ou plutôt de Satan. Ces fruits avaient la propriété d’exciter à un haut degré ce qu’il y avait de matériel dans l’organisme humain ; la matière, jusque-là soumise, fut fortifiée contre l’esprit, et alors il y eut de nouvelles formes et un état nouveau. Les sexes, tels que notre nature de péché les a gardés, sont la manifestation pénitentiaire de la prééminence que la volonté de l’homme a donnée à la matière. Cette manifestation pénitentiaire est l’œuvre de Satan ; l’attribuer à Dieu serait un attentat. Il faut frapper notre poitrine d’homme en signe d’accusation, et demander instamment à Dieu de nous ramener à cet état primitif dont le diable nous a fait déchoir, c’est-à-dire à cet état où nous n’avions ni intestins, ni dents, ni rien enfin de ce que ces malheureux fruits du paradis ont mis en fermentation et en révolte. M. Guiraud n’a pas d’expressions assez fortes pour peindre les ravages de la concupiscence ; à l’entendre, c’est Satan tout entier qui bouillonne dans le sang du jeune homme ; c’est lui qui a créé les organes, instrument du péché ; c’est le diable enfin qui a reconquis la terre, maudite par Dieu. Nous avons prévenu nos lecteurs, M. Guiraud est possédé du démon ; il le voit partout, il déclare son action plus vive, plus incessante, plus violente que celle de Dieu ; s’il faut l’en croire, nier l’action diabolique, ennemie de l’action divine, serait nier le christianisme. Dans sa Théodicée, Leibnitz a eu le tort de ne pas faire au diable une part convenable. Caïn qui tue son frère et