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LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE CATHOLIQUE.

le polythéisme et le christianisme sont surtout en lutte, la vieille religion avec tout le désavantage d’un système épuisé par l’éclat même qu’il a jeté, la nouvelle avec ces impulsions favorables qui ne manquent jamais aux révolutions nécessaires de l’esprit humain. Néanmoins, la civilisation antique ne se laisse pas envahir et vaincre sans de glorieux efforts. Ce IIIe siècle, livré à l’anarchie militaire, si sanglant, si licencieux et si stérile, représente une décadence long-temps différée par le génie politique des empereurs et par les derniers chefs-d’œuvre d’une littérature qui fait ses adieux au monde dans le double idiome de Rome et d’Athènes. Il est donc déraisonnable de choisir ce IIIe siècle pour y établir le parallèle des deux religions. Au moins M. de Châteaubriand a placé les héros de son poème dans le ive, au moment où Constantin va monter sur le trône, à une époque où l’empire n’était plus la proie exclusive de monstres stupides, puisque Dioclétien avait revêtu et dépouillé la pourpre. Que conclure de tout cela, si ce n’est que M. Guiraud n’aurait jamais dû avoir l’idée de composer Flavien ? M. de Châteaubriand s’était emparé du Ive siècle ; pendant le premier et le second, le polythéisme répand encore trop de lumière, pendant le troisième il est trop dégradé. Ainsi, pour peu que M. Guiraud se fût rendu compte des conditions historiques et littéraires de son sujet, il y eût renoncé.

Voilà qui était d’un mauvais augure pour la Philosophie catholique. Cependant il peut se rencontrer qu’un homme ne sente pas l’histoire en artiste et la comprenne en philosophe. Saisissant cette dernière espérance, nous avons abordé la Philosophie catholique de M. Guiraud : rien ne nous a fait lâcher prise dans cette lecture, ni l’étrangeté du point de départ, ni les imaginations les plus singulières, ni les plus bizarres détails, ni la pesanteur d’une phraséologie barbare ; nous avons tout traversé, marchant toujours dans l’attente du rayon de lumière, du fiat lux qui devait jeter sur l’histoire un jour nouveau. Vain espoir ! Mais avant de juger l’œuvre de M. Guiraud, il faut en indiquer les données principales.

Où commence l’histoire ? Au point de vue catholique, il semblerait qu’en la faisant remonter aux premières traditions hébraïques sur le paradis terrestre, c’est porter son origine aussi loin que possible. M. Guiraud ne se contente pas de ce point de départ, il lui faut quelque chose d’antérieur à Adam. Si Adam a péché, dit M. Guiraud, c’est parce que dès avant Adam, il y avait une prévarication première de laquelle toutes les autres ont pris naissance. Le mal a donc été introduit dans l’œuvre de Dieu par des créatures antérieures à Adam.