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LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE CATHOLIQUE.

donner des consolations et des conseils, mais il les refuse, et disparaît en s’écriant : Je maudis les hommes, et même les dieux ! Il paraît que le gladiateur ne s’est pas converti.

Cette action, dont nous n’avons pas sans peine débrouillé le fil, se complique encore de mille accessoires : émeutes dans les rues de Rome et dans le camp des prétoriens, mystères de Mythra célébrés dans la Campanie, enchantemens d’une Thessalienne qui immole des enfans pour connaître l’avenir, les empereurs Maxime et Balbin avec leurs intérêts politiques, les agapes des chrétiens, les pompes naissantes de la religion nouvelle au fond des catacombes, les plus grandes figures du christianisme et de la philosophie disposées en comparses et en utilités à travers le drame, Tertullien, Origène, Plotin ; l’auteur s’est servi de tout, a tout exploité pour enfler son roman. Il aura cru sans doute avoir composé un grand poème, quand il n’a fait que travestir l’histoire, tout confondre, tout fausser. On n’est pas poète pour avoir barbouillé de prétendues scènes historiques. Devant un si déplorable pastiche, les véritables artistes détournent la tête, et ceux qui vouent à l’étude du passé un culte sincère ne sauraient pardonner au téméraire qui viole l’histoire sans que l’art y gagne rien.

Nous ne disserterons pas sur la question de savoir s’il est possible de faire des poèmes en prose : les faits parlent assez haut. Combien d’œuvres sont restées dans ce genre équivoque ? Deux seulement : Télémaque et les Martyrs. Il n’a été donné qu’à Fénelon et à M. de Châteaubriand d’associer leur prose poétique à l’immortalité des beaux vers. C’est qu’il y a dans le genre même quelque chose de radicalement faux, des écueils cachés qui font du naufrage la règle et du succès l’exception. Pour assurer à Télémaque et aux Martyrs une durée glorieuse, il a fallu que Fénelon et M. de Châteaubriand fussent doués d’un style qu’un critique de l’antiquité[1] semble avoir caractérisé d’avance quand il a dit : « Il est possible qu’un discours en prose ressemble à un beau poème ou à un chant. » N’oublions pas que l’archevêque de Cambrai avait la protection d’Homère, en traçant une sorte d’appendice de l’Odyssée. Au commencement de notre siècle, M. de Châteaubriand a eu l’insigne fortune d’être le promoteur d’un mouvement religieux et littéraire qui lui créa une position nette et haute. On trouva légitime que M. de Châteaubriand mît en œuvre lui-même l’idée

  1. Denys d’Halicarnasse.