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ans d’efforts et de patience (c’est-à-dire vers 1639) il avait acquis dans Rome une célébrité presque populaire.

Le bruit s’en répandait depuis quelques années en France, au grand effroi de Vouet. Il y avait déjà douze ans que le premier peintre exploitait sa faveur : les rues étaient pavées de ses œuvres ; le roi ne s’amusait plus à faire des pastels ; sa santé s’altérait, il se lassait de Vouet comme de tout le reste : il lui fallait du nouveau, et un jour la passion le prit de faire venir le Poussin. Il ne pouvait lui offrir la charge de premier peintre, puisqu’elle était occupée par Vouet, mais il lui fit promettre de riches pensions et des avantages considérables. Le Poussin ne voulut à aucun prix quitter Rome : il résista pendant plus de six mois, et laissa presque sans réponse les lettres de M. Desnoyers, le surintendant des bâtimens royaux ; mais enfin le roi lui écrivit de sa propre main et dépêcha M. de Chantelou à Rome pour le ramener. Il fallut bien céder et se mettre en route vers Paris[1].

Un carrosse du roi l’attendait à Fontainebleau et le conduisit au logement qui lui avait été préparé dans le jardin des Tuileries. Le lendemain on le mena faire sa cour au cardinal, qui l’embrassa et lui commanda quatre tableaux ; puis il fut conduit à Saint-Germain, où le roi lui fit l’insigne honneur de le recevoir à la porte de sa chambre, et dit en se retournant aux courtisans témoins de l’entrevue : Voilà Vouet bien attrapé !

Il n’est pas vrai que ce mot ait fait mourir Vouet six mois après[2] ; mais on comprend qu’il dut porter la rage dans le cœur du peintre détrôné, et que le Poussin, comme il le prévoyait d’ailleurs, allait être en butte aux attaques d’une rivalité furieuse.

Lesueur fut peut-être le seul des élèves de Vouet qui refusa de prendre feu pour son maître et de s’associer au système de dénigrement et de sarcasme qui s’organisa contre le Poussin dès le lendemain de son arrivée. Ce qu’il respectait dans le grand artiste, ce n’était pas la faveur royale, c’était le caractère sérieux de ses ouvrages, la noblesse de ses idées, la hardiesse et la nouveauté de son style.

  1. À la fin de l’année 1640.
  2. Sur la foi de Félibien, presque tous les biographes supposent qu’il mourut le 5 juin 1641 ; mais Perrault et Bullan ne le font mourir qu’en 1648. Ce qui ne permet pas évidemment d’admettre la version généralement adoptée, c’est que Félibien lui-même nous apprend que Vouet, ayant perdu sa femme au mois d’octobre 1638, en prit une seconde à la fin de juin 1640 ; que la première lui donna deux filles et