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forum ! D’abord c’est une action fort brutale, et puis le coup de poignard de ce vieux plébéien, s’il a amené l’affranchissement de Rome, a provoqué une foule de tragédies dont l’énumération serait presque aussi longue que les fastes consulaires de la république. Quel est l’échappé de rhétorique qui n’écrivait pas, il y a vingt ans, son drame sur la mort de Virginie ? Dans le dernier siècle, La Harpe donna Virginie pour pendant à son Timoléon, et Alfiéri appliqua au même sujet l’âpreté concise de son style. La tragédie de M. Guiraud ne nous offre pas, comme celle de l’auteur italien, le dédommagement d’une poésie mâle et simple. La pièce entière est écrite en vers de cette force :

Mais en ces jours d’horreur où dix patriciens,
Du peuple et du sénat rompant tous les liens,
De nos droits usurpés s’affectent le partage,
Où Rome entre leurs mains livre son héritage,
Afin d’en obtenir je ne sais quelles lois,
Elle dont le destin est tout dans ses exploits,
Le forum n’est plus rien qu’une arène souillée,
Où Rome encor se traîne esclave et dépouillée,
Pour entende flétrir ses plus nobles travaux,
Et présenter sa gloire à des affronts nouveaux.

Qui le croirait ? M. Guiraud était membre de l’Académie française quand il offensait par de pareils vers l’histoire et la langue. En 1826, la coterie royaliste et catholique à laquelle il appartenait, et qui alors était puissante au sein de l’Académie, avait imaginé de donner le fauteuil du duc Mathieu de Montmorency à l’auteur des Machabées et du Comte Julien. Vraiment le grand seigneur était mieux à sa place au sein des quarante que son successeur ; au moins, pour siéger, il n’avait rien fait.

La lecture des tragédies de M. Guiraud nous avait jeté dans un découragement amer quand un de nos amis, très versé dans la littérature contemporaine auquel nous avions communiqué notre désappointement, nous dit : « Vous seriez bien surpris si je vous indiquais des vers simples et naturels du même auteur dont la stérile emphase et les alexandrins incorrects vous ont si fort pesé ; lisez le Petit Savoyard. » Cela fut bientôt fait, car le poème est court ; mais au moins là nous avons trouvé une inspiration vraie, un style naïf et facile. M. Guiraud chante le départ, le séjour à Paris et le retour dans les vallées paternelles des enfans dont la Savoie peuple nos villes