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et le choisit pour chancelier à la place de lord Eldon. À cette époque, il se fit honneur en soutenant vivement dans la chambre des lords que le mariage est un contrat civil. Lord Lyndhurst resta chancelier sous le ministère Goderich, puis sous les deux ministères du duc de Wellington. Il quitta le pouvoir en 1830, quand lord Grey devint premier ministre. Depuis ce moment, aucun orateur tory n’a égalé dans l’une ou l’autre chambre la ténacité de son opposition et l’âpreté de ses attaques. Maître d’une élocution facile sans être lâche, et d’une dialectique aussi puissante que serrée, il vient chaque soir, toujours calme en apparence, porter sur les mesures ministérielles un scalpel impitoyable et disséquer d’une main ferme et sûre les hommes et les choses. Chez lui, la passion ne se manifeste guère par de grands éclats et des apostrophes véhémentes, mais par une froide logique et par des sarcasmes amers. Souvent il lui est arrivé d’épancher en une ou deux séances plus de fiel qu’il n’en eût fallu pour alimenter pendant toute une session une honnête proposition. On comprend que, dans cette disposition d’esprit, lord Lyndhurst dépasse quelquefois le but et rompe la corde à force de la tendre. Plus ordinairement cependant il s’arrête à point, frappe juste, et fait à son ennemi le mal qu’il veut lui faire.

On ne peut au reste se faire une idée de la déférence, de l’admiration avec laquelle la masse du parti tory dans la chambre des lords écoute lord Lyndhurst. Quand il se lève, ses papiers à la main, toutes les conversations s’arrêtent, tous les yeux se tournent vers lui. Quand il s’assied, un murmure général d’approbation parcourt les banquettes où il siége, et le vote prouve bientôt après que le mot d’ordre donné par lui n’a point été perdu, C’est, on le sait, lord Lyndhurst qui a prononcé, au sujet de L’Irlande, les paroles imprudentes, incroyables, auxquelles M. O’Connell fait si souvent allusion ; c’est lui qui a qualifié sept millions de sujets britanniques « d’étrangers par le sang, par la langue et par la religion. » Dans le ministère nouveau, il sera, selon toute apparence, l’extrême droite, et ce n’est pas sans peine que ses collègues pourront le modérer. Aussi quelques tories modérés voudraient-ils bien trouver le moyen d’envoyer lord Lyndhurst à Paris, et de lui substituer sir William Follett, qui leur paraît beaucoup moins compromettant. Je ne pense pas qu’ils y réussissent, et que les conservateurs ardens se laissent ainsi décapiter. Lord Lyndhurst, qui vient d’atteindre sa soixante-dixième année, est d’ailleurs un homme d’une capacité supérieure, un jurisconsulte profond et un excellent chancelier.