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EUSTACHE LESUEUR.

nous connaissons le maître ; voyons maintenant ce qu’allaient devenir entre ses mains les précoces talens du disciple.

III.

Lesueur suivit d’abord avec docilité les conseils de Vouet ; il était trop timide pour affecter l’indépendance, trop modeste pour en avoir seulement la pensée. C’était à son insu et comme entraîné malgré lui, qu’il devait s’écarter des traces de son maître et marcher dans la voie où l’appelait sa vocation.

Le maréchal de Créqui, en revenant de ses ambassades à Rome et à Venise (1634), avait rapporté une riche collection de tableaux que tout Paris courait visiter. Les élèves de Vouet furent admis à la voir, et leurs regards se portèrent tout d’abord et se fixèrent presque exclusivement sur les œuvres des maîtres contemporains tels que l’Albane, le Guide, le Guerchin et autres célébrités de l’époque. Lesueur seul ne s’arrêta pas long-temps à les contempler : il avait aperçu dans le fond de la salle d’autres tableaux qui n’étaient pas, il est vrai, aux places d’honneur, mais dont ses yeux ne pouvaient se détacher. C’étaient quelques peintures des maîtres du XVe siècle, c’étaient aussi plusieurs Francia, un André del Sarto, et deux ou trois copies de Raphaël exécutées sous ses yeux.

De ce jour Lesueur comprit qu’il faisait fausse route. Il devint soucieux, rêveur, mécontent de tout ce qu’il essayait. Il avait été comme frappé de révélation : la simplicité de l’ordonnance, le calme du dessin, la justesse des expressions, lui étaient apparues comme des vérités pour lesquelles il se sentait intérieurement prédestiné. Ce genre de peinture était, pour ainsi dire, familier d’avance à son esprit, mais c’était une nouveauté pour ses yeux. Les artistes ne disposaient pas alors comme aujourd’hui des moyens de tout connaître et de tout comparer ; le pauvre jeune homme n’avait pas ses entrées dans le cabinet du roi où se conservaient les tableaux de Raphaël et de Léonard : il avait bien vu des copies de Raphaël, mais des copies comme on les faisait alors, c’est-à-dire des traductions plus que libres, des variations fantastiques sur un thème méconnaissable. C’est à peine si de nos jours, où théoriquement on sait ce que doit être une copie, il se trouve des mains capables d’en faire une fidèle ; alors il n’y avait ni théorie, ni pratique : on faisait à Raphaël l’honneur de le rajeunir.

Lesueur n’eût rien tant désiré que de faire des études chez le ma-