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EUSTACHE LESUEUR.

destinées à la décoration du Luxembourg donna-t-elle à penser que le pinceau du maître n’avait fait que les effleurer. Ce soupçon suffisait pour mettre nos amateurs sur leurs gardes ; car, dès cette époque, ils craignaient de se compromettre, et s’entendaient mieux à juger qu’à sentir. Il y avait d’ailleurs chez Rubens un parti pris beaucoup trop exclusif et trop violent pour nos esprits tempérés et moqueurs. Quand on s’abandonne sans réserve aux charmes de ce merveilleux pinceau, c’est qu’on a la faculté d’oublier pour un moment qu’il y a dans ce monde autre chose que des carnations éblouissantes. C’était trop demander à des esprits français : les incontestables lacunes qui déparent ce grand génie n’échappèrent à personne, et la trivialité, la lourdeur, la bizarrerie de son dessin firent perdre à sa palette presque toute sa séduction et sa puissance.

Rubens ne devait donc pas faire école parmi nous. Pour réussir complètement à Paris, je ne dis plus en France, parce que pour les arts la France commençait dès-lors à être tout entière dans Paris, pour obtenir, dis-je, à Paris un succès complet et assuré, il ne fallait rien d’exclusif, rien qui prêtât au ridicule, et par conséquent rien de trop vivement prononcé.

Freminet avait échoué, moins parce qu’il n’était pas un homme supérieur que parce qu’il s’était jeté sans prudence et sans modération dans l’imitation de Michel-Ange. Rubens n’avait réussi qu’à moitié, malgré son génie et son grand nom, parce qu’il y avait en lui quelque chose d’outré et d’excessif. Tous ceux qui se présentèrent dans ces mêmes conditions éprouvèrent le même sort. Ainsi, Blanchard, qui s’était fait exclusivement vénitien, le Valentin, qui n’avait étudié et qui n’imitait que Caravage, malgré de très belles facultés et une grande verve de talent, ne furent que médiocrement goûtés : ils trouvèrent bien quelques chauds partisans, mais encore plus de détracteurs. Un seul homme devait joindre au privilége de ne blesser personne celui de plaire, pour ainsi dire, à tout le monde, et cet homme si habile ou si heureux, cet homme si bien fait pour ce public et pour cette époque, c’est Simon Vouet.

Il habitait l’Italie depuis quatorze ans, mais il avait eu la prudence de ne pas séjourner trop long-temps dans aucune ville et de ne s’attacher à aucun parti, pas même aux Carrache ; ce qui ne veut pas dire qu’il se fût imposé la tâche d’être original et naturel, ni surtout qu’il eût eu le pouvoir de le devenir. Il s’était rendu familier le style de tous les maîtres à la mode et s’était fait une manière qui reproduisait jusqu’à un certain degré les qualités les plus saillantes de chacun