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l’ont si vivement reproché au cabinet, qu’il ait improvisé son budget du jour au lendemain, quand tout espoir de se maintenir était perdu, et dans l’unique vue de refaire sa popularité ? Faut-il croire, en un mot, que les céréales, les sucres et les bois de construction n’aient été à ses yeux qu’une machine de guerre et un moyen d’agiter le peuple à son profit ?

On sait que lord John Russell a nié formellement le budget improvisé. Sans aller jusque-là, une partie des motifs imputés au cabinet par les tories n’en paraît pas moins incontestable. Dès le début de la session, les whigs se rendaient parfaitement compte de leur situation. Ils savaient qu’avec le parlement actuel le gouvernement ne leur était plus possible, et que, vainqueurs ou vaincus à deux ou trois voix de majorité, ils devraient, au milieu ou à la fin de la session, se retirer ou dissoudre. Ils savaient de plus que, selon toute apparence, les élections, dans l’état actuel des choses, ne tourneraient pas en leur faveur. Ils aimaient pourtant mieux faire eux-mêmes la dissolution que de la laisser faire par leurs adversaires, si ce n’est pour avoir la majorité, du moins pour s’assurer une minorité respectable, et à l’aide de laquelle ils pussent tenir le ministère tory en échec. Il était dès-lors fort simple que, dès le commencement de la session, ils cherchassent quelles mesures raviveraient leur popularité presque éteinte et leur prépareraient un bon terrain. Ce n’est pas tout. Depuis quelques années, en supprimant ou modifiant des taxes établies, les whigs avaient réduit les recettes exactement au niveau des dépenses ordinaires du pays. Par suite des armemens extraordinaires de la Syrie, de la Chine et de l’Inde, il y avait donc dans les caisses de l’état un déficit considérable, et qui sur l’exercice précédent montait à près de 2,500,000 liv. st. (63,000,000 de francs environ). En 1842, malgré les 5 p. 100 d’augmentation sur les taxes indirectes et les 10 p. 100 sur les impôts directs votés l’an dernier, ce déficit ne pouvait pas être évalué à moins de 1,800,000 liv. sterl. (45,000,000 de  fr.). Comment le combler ? Par un emprunt ? c’était entrer dans une voie ruineuse et dangereuse. Par l’établissement de nouveaux impôts ou l’augmentation des anciens ? c’était faire beau jeu à l’opposition et mécontenter une fraction notable du parti ministériel. Si donc on pouvait découvrir une mesure qui fût à la fois productive et populaire, utile à la masse des consommateurs et avantageuse au trésor, le problème n’était-il pas admirablement résolu ? Or, cette mesure existait, qualifiée à la vérité d’acte de démence par le chef du cabinet, mais adoptée dès l’année précédente par tous les