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draperies, et la rudesse du coloris fit paraître encore plus dure et plus étrange cette extrême accentuation des formes. En un mot, il y eut à Fontainebleau grande foule de curieux pour contempler l’œuvre du premier peintre, mais le succès fut contesté. Freminet s’en aperçut, et le chagrin abrégea sa vie. Il mourut deux ou trois ans après, en 1619.

Vers cette même époque, la reine-mère s’occupait à réaliser, non sans beaucoup de peine et de négociations le dessein qu’elle avait formé d’attirer à Paris une des plus grandes célébrités du siècle. C’était de sa part un acte d’impartialité, car il ne s’agissait pas d’un Italien. Le nom de Rubens était alors dans toutes les bouches. Pendant que l’Italie proclamait la résurrection de sa peinture et célébrait ses nouveaux triomphes, la Flandre voyait s’opérer chez elle une révolution non moins éclatante. Otto Venius, à son retour d’Italie, s’était mis à peindre avec la chaleur de ton et la magie de couleur des Vénitiens. À vrai dire, il ne faisait que rendre à son pays ce que Venise lui avait emprunté, car ce sol brumeux de la Flandre, malgré son pâle soleil, est bien sans contedit la mère-patrie du coloris. Ce n’est pas seulement l’art de peindre à l’huile que Van-Eyck a inventé ; il a connu et pratiqué la science de tous les grands effets lumineux. Voyez dans le musée de Bruges cet archevêque en grands habits sacerdotaux, entouré de son clergé ; peut-on pousser plus loin, non-seulement le relief des carnations et de tous les détails du costume, mais même l’harmonie générale, la dégradation des plans, le fondu et l’empâtement des couleurs ? On a peine à comprendre comment, après de tels exemples, les successeurs de Van-Eyck tombèrent si vite et restèrent si long-temps dans une sécheresse plate et décharnée. L’influence allemande les avait subjugués ; mais, au premier signal donné par Otto Venius, les vieux instincts du pays se réveillèrent, et de ce jour l’école flamande redevint essentiellement coloriste.

Rubens, qu’on a si bien nommé le Michel-Ange de la couleur, eut à peine adopté le système de son maître, qu’il le porta à ses dernières conséquences. Pour lui, il n’y eut plus de formes dans la nature, il n’y eut plus que de la lumière colorée. Il était alors dans toute l’énergie de son talent ; il n’avait que quarante-trois ans, et avait déjà rempli l’Europe de ses œuvres et de sa renommée. Son arrivée à Paris fit grande sensation : il reçut à la cour l’accueil le plus brillant, mais ses tableaux n’excitèrent pas une admiration aussi grande et aussi retentissante qu’on devait le supposer. Peut-être l’extrême rapidité avec laquelle furent achevées ces vingt-quatre grandes toiles