Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
EUSTACHE LESUEUR.

autres. Mais tous ces peintres se ressentaient du long sommeil dont on venait de sortir ; ils n’avaient ni originalité personnelle, ni physionomie d’école.

Aussi, lorsque quelques années plus tard Dubreuil vint à mourir (vers 1607), ce ne fut pas dans leur rang qu’on chercha son successeur. La cour aurait désiré quelque grand nom d’Italie, mais il y avait alors à Rome un Français qui s’y était acquis une telle célébrité, que le choix du roi dut tomber sur lui. Son nom était Freminet : parti de France en 1592, il y avait quinze ans qu’il habitait l’Italie. Il s’était lié d’une étroite amitié avec le Josépin, et lui avait souvent prêté secours contre ses fougueux adversaires. Les biographes de Freminet ont soin de remarquer que, tout en étant l’ami du Josépin, son goût l’avait porté à imiter plutôt Caravage. Rien n’est moins exact. Freminet avait horreur du style grossier et sans façon des naturalistes. Michel-Ange était son dieu. Mais il peignait d’un ton noirâtre et prononçait très fortement ses ombres ; c’est de là qu’est venue la méprise. Les tableaux du Caravage sont noirs, ceux de Freminet le sont aussi ; on en a conclu qu’ils étaient de même famille, tandis qu’au fond c’est l’eau et le feu.

Freminet, nommé premier peintre du roi, fut aussitôt chargé du travail des voûtes de la chapelle de la Sainte-Trinité à Fontainebleau, voûtes jusque-là toutes nues et qui avaient fait dire à l’ambassadeur d’Espagne qu’il n’y avait que Dieu qui fût mal logé chez le roi. Ce grand travail dura près de dix ans ; il n’était qu’à peine ébauché lorsque Henri IV fut assassiné.

Les peintures de Freminet existent encore, bien que le temps les ait profondément altérées ; peut-être recevront-elles bientôt l’honneur de cette restauration laborieuse et intelligente qui a déjà rendu à la vie et à leur premier éclat presque toutes les grandes compositions du Primatice. En attendant, malgré de déplorables dégradations, on peut encore en saisir assez distinctement le caractère, les qualités, les défauts. On y voit comme un reflet de cet aspect grandiose que le doigt de Michel-Ange impose à tout ce qu’il touche, mais on y trouve en même temps la reproduction plus que fidèle de tout ce que le grand homme s’est jamais permis de contours extraordinaires et d’effets contre nature.

Les yeux n’étaient pas préparés à ce spectacle. C’était la première fois peut-être depuis le Rosso qu’on nous donnait avec cette crudité une représentation du système florentin. On recula d’étonnement devant ces muscles en relief qui faisaient saillie même au travers des