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pas de son manuel d’économie et d’hygiène italiennes ; mais quatre ou cinq voyages faits en Italie pour chercher et dire tout ce qu’il y a de beau, de noble, de savant dans ce pays, autorisent aussi M. Valery à nous faire profiter de son expérience dans les petites choses, après nous avoir aidés de son instruction dans les grandes. Il a eu du reste le mérite de donner une forme littéraire à un sujet qui ne l’était guère, de raconter çà et là quelques curieuses anecdotes, et de faire quelques piquantes citations, tout en indiquant les bonnes adresses, les bons endroits et les bons marchés. En mangeant les choses, on aime souvent à savoir les hommes célèbres qui les ont mangées avant vous. M. Valery a de quoi satisfaire ce goût d’érudition : il dit quels sont les raisins que le prince Eugène de Leuchtemberg faisait venir de Bologne à Munich à Noël et à Pâques, quelles sont les figues de Pesaro que chantait le Tasse, comment à Naples on peut boire du vrai falerne et à quel prix, comment le maigre de la table du cardinal de Bernis, à Rome, avait une renommée particulière parmi les membres du sacré collége, et comment, enquête faite, il se trouva que ce maigre exquis tenait à l’emploi du jus de jambon ; combien Pie VII aimait le tabac, et surtout le tabac de la régie française, et comment M. de Blacas lui en apporta par contrebande dans une audience secrète ; comment aussi le tabac a été recommandé, puis proscrit par les papes, puis réhabilité, et comment un savant religieux du XVIIe siècle, Benoît Stella, le conseillait aux prêtres et aux moines comme un aide à la chasteté ; quel est, à Montefiascone, le cru dont le vin muscat fut fatal au cardinal Maury, qui, évêque de Montefiascone pendant son exil, goûta trop de ce fruit de son diocèse et y perdit quelque peu de la force de son esprit. Enfin, comme aujourd’hui un livre n’est pas complet et n’est pas à la mode s’il n’est parlé quelque part de Napoléon, disons en finissant que de ce côté aussi le manuel de M. Valery ne laisse rien à désirer, car il nous dit quel est le poisson que Napoléon, à Turin, en allant à Marengo, trouva si exquis, qu’il mangea le plat tout entier. Ce poison est la lamprede, petite et mince anguille pêchée dans le Pô. Ce sont ces indications, ces détails et ces petites anecdotes, qui font l’utilité et aussi l’agrément de l’Italie comfortable de M. Valery.


V. de Mars.