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REVUE. — CHRONIQUE.

à son profit, c’est que toute occasion ou prétexte de démembrement soit éloigné. Le problème se trouvait ainsi résolu.

Le traité du 15 juillet a renversé ce système. On a ébranlé le pacha sans raffermir le sultan. Il n’y a plus de force dans l’empire ; le suzerain et le vassal sont également impuissans. La seule forme sous laquelle l’intégrité réelle de l’empire ottoman était encore possible a été brisée à Londres. On ne la retrouvera plus. C’est ainsi qu’on peut dire que cette expression ; « l’intégrité de l’empire ottoman, » n’a plus de sens aujourd’hui. La chute définitive n’arrivera peut-être pas demain, c’est un mourant qui à force de soins peut encore traîner pendant quelques jours une existence misérable ; mais la vie, mais la santé, nul ne peut les lui rendre. Méhémet-Ali aurait comprimé, contenu du moins l’élément chrétien ; le sultan laissera commettre d’horribles cruautés, et ne le comprimera pas. L’Europe se sentait partagée entre ses tendances chrétiennes et son admiration pour Méhémet-Ali. Aujourd’hui, elle est toute à ses sentimens et à ses penchans naturels. L’opinion de l’Europe est une puissance ; c’est un ennemi que les Turcs ne dompteront pas : il est plus redoutable que la plus redoutable des croisades.

Au résumé, le traité du 15 juillet porte ses fruits ; c’est à ce traité que la diplomatie doit aujourd’hui les graves pensées qui commencent à la préoccuper. L’empire d’Orient est encore debout, mais un accident peut le faire tomber demain : il est hors d’état de résister à un accident.

Les gouvernemens ont raison d’être inquiets et très réservés ; ils ont raison de regarder avec un œil de méfiance les troubles de l’Orient. Aussi ne sommes-nous pas de ceux qui songent à leur demander de prendre à l’instant même un parti. Nous voudrions seulement qu’on n’eût pas la pensée, fort saine d’ailleurs dans les pays de liberté, d’imposer silence à la pitié et de lier les mains à la charité chrétienne. À chacun son rôle : la politique aux hommes d’état, la neutralité aux gouvernemens, la charité aux ames pieuses et libérales, s’il s’en trouve encore.

Au reste, le sort des chrétiens de l’Orient peut dépendre, en partie du moins, de l’issue des négociations toujours pendantes à Londres. Une fois le traité du 15 juillet relégué dans le domaine de l’histoire, les dispositions des puissances à l’égard des faits qui se développent en Orient, seront naturellement subordonnées à la situation relative de ces mêmes puissances en Europe. L’isolement serait peut-être une cause nécessaire de soupçons, de retenue et de méfiance. On surveillerait très attentivement ses voisins, et on éviterait avec un soin scrupuleux et même cruel de leur offrir le moindre prétexte de soupçon. Toute intervention à Constantinople, même la plus mitigée, la plus contenue, ne fût-elle qu’une prière, qu’un pur acte d’humanité, pourra paraître, si elle est isolée, un fait grave, une tentative d’empiétement, un danger pour l’équilibre européen. On préfèrera s’abstenir.

Quoi qu’il en soit, nous le répétons, nous sommes loin de souhaiter dans ce moment l’intervention des puissances, soit isolées, soit réunies. Si la cause