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EUSTACHE LESUEUR.

des peintures de Fontainebleau (on ne lui avait donné que la moitié des dépouilles du Primatice, l’architecture était allée à Jean Bullant), je ne crois pas, dis-je, que Toussaint Dubreuil dût exercer une grande influence sur ses contemporains ; mais il n’en faut pas moins noter que, vers cette époque, on voit apparaître d’assez notables changemens. Les formes s’alourdissent en aspirant à plus d’ampleur ; la grace disparaît, et ce n’est pas la force qui la remplace, c’est une certaine raideur tourmentée. Nos maîtres les plus habiles commençaient à disparaître. Jean Goujon n’était plus, et ceux qui survivaient semblaient avoir perdu le sentiment de leur individualité et le secret de leurs premiers succès. Quelle différence entre les productions qui sortaient alors des mains de Germain Pilon et celles de ses plus jeunes années ! Jean Cousin lui-même, ce grand artiste qui, tout en se livrant avec amour à la partie scientifique du dessin italien, avait toujours conservé dans une si juste mesure la précision et la fermeté du vieux style français, Jean Cousin, touchant à la vieillesse, s’était fait une pratique qui lui enlevait en partie son ancienne physionomie.

C’est alors que nos troubles civils éclataient dans toute leur violence. Les dévastations de 1562 avaient déjà porté le désordre et la ruine dans presque toutes les villes où travaillaient nos écoles provinciales : les artistes s’étaient dispersés, les uns avaient fui, d’autres avaient pris le mousquet. Les réactions sanglantes de 1572 ne devaient pas être moins meurtrières pour l’art, et les intrigues, les agitations, les fureurs de la ligue achevèrent de l’étouffer. Mais lorsqu’au retour du calme et de la paix, le pays commença à reprendre haleine, on eût dit qu’on voulait réparer le temps perdu ; ce fut une vogue, une passion subite et singulière pour les beaux-arts, et, par une étrange mobilité dans les goûts du public, c’est la peinture qui cette fois devint l’objet d’une faveur marquée et d’une prédilection presque exclusive.

On a vu combien, pendant tout le XVIe siècle, la peinture était restée sur le second plan. Tandis que l’architecture, la sculpture, la ciselure, produisaient de si gracieux chefs-d’œuvre, la peinture se débattant entre les influences contraires qui la précipitaient et la retenaient dans des sens différens, n’était parvenue à prendre aucune allure décisive, et s’était réduite à un rôle terne et secondaire. Sauf le roi François Ier et quelques grands seigneurs, personne en France n’avait encore professé un goût quelque peu vif pour la peinture : on faisait faire volontiers son portrait, mais qui achetait des tableaux ?