Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/321

Cette page a été validée par deux contributeurs.
317
AFFAIRES DE SUISSE.

pour eux le gouvernement depuis 1830, et ils s’en servaient pour inquiéter les catholiques ; ceux-ci, de leur côté, ne cessaient de s’agiter pour disputer le pouvoir à leurs adversaires. Les principaux centres d’action étaient de riches couvens d’hommes et de femmes établis depuis des siècles dans le pays, et notamment celui de Muri, le plus opulent de toute la Suisse.

L’année 1840 était l’époque fixée pour une révision de la constitution d’Argovie. Les catholiques demandaient depuis long-temps qu’on introduisit dans la constitution nouvelle des dispositions plus favorables au libre exercice de leur foi. Ils allèrent même jusqu’à proposer ce qu’ils appelaient la séparation confessionnelle, c’est-à-dire une séparation des deux confessions qui donnât à chacune le droit d’administrer à elle seule les affaires de son culte. Les protestans ne se bornèrent pas à leur refuser cette garantie ; tous les articles proposés par les catholiques furent repoussés en même temps par les rédacteurs du nouveau projet. Ceux-ci firent plus ; ils proposèrent d’effacer le seul article qui, dans l’ancienne constitution, avait consacré les droits des catholiques par la disposition connue sous le nom de parité. C’était mettre en pratique cette doctrine des théoriciens absolus de la souveraineté du nombre, que la moitié plus un du peuple a le droit de dépouiller et même de détruire, s’il lui plaît, la moitié moins un. Les catholiques argoviens n’eurent pas de peine à démontrer, dans les discussions qui précédèrent le vote, que c’était là abuser étrangement du droit de la majorité, mais les protestans n’en tinrent nul compte. À tous les griefs des soixante-dix mille, les chefs des quatre-vingt-dix mille répondaient par des menaces. C’était dans les couvens, disait-on, que s’entretenait l’esprit de rébellion, et le plus sûr serait un jour de les supprimer et de saisir leurs biens.

Le vote sur le nouveau projet de constitution mit les deux partis en présence le 5 janvier dernier. La population protestante presque tout entière lui accorda son adhésion ; les bailliages catholiques le repoussèrent avec non moins d’unanimité. 16,050 votes s’étant prononcés pour, et 11,481 contre, il fut adopté. Ce résultat fut suivi d’une grande agitation dans les bailliages catholiques, et surtout dans les environs du couvent de Muri. Le gouvernement argovien, inquiet ou feignant de l’être, envoya sur les lieux un membre du conseil exécutif, M. Waller, pour se saisir des chefs de la révolte qu’on supposait sur le point d’éclater. À son arrivée à Muri, M. Waller trouva la population sous les armes. Au lieu d’arrêter ceux qu’il était venu chercher, il fut arrêté lui-même et mis en prison avec les gen-