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Cette affaire n’est pas un fait isolé. C’est un incident de plus dans l’histoire des révolutions intérieures de la Suisse depuis 1830, incident qui se lie à tous ceux qui ont précédé, et qui n’en est que la suite. Il importe donc, pour le bien comprendre, de se faire une idée nette de la situation générale du pays. Quelques mots suffiront pour présenter en résumé cette situation.

Avant la révolution de 1789, la Suisse, qui passait dans le monde pour la terre de la démocratie et de la liberté par excellence, était, au contraire, plus engagée peut-être que tout autre pays dans les traditions oligarchiques du moyen-âge. Les affranchis des quatorzième et quinzième siècles, qui avaient rempli l’Europe du bruit de leurs nobles luttes pour leur émancipation, étaient devenus par la suite des temps des privilégiés. Sur les treize cantons dont se composait alors la confédération helvétique, six seulement avaient gardé le nom de cantons démocratiques : c’étaient ceux d’Uri, d’Unterwald, de Schwytz, de Zug, de Glaris et d’Appenzell. Les institutions primitives, conservées par ces cantons dans toute leur simplicité républicaine, leur donnaient en effet l’apparence d’une organisation extrêmement démocratique ; mais sous ces formes populaires se cachaient des distinctions de race et d’origine. Les descendans des premiers fondateurs de la liberté étaient seuls en possession des droits politiques, et la Landsgemeine, ou assemblée générale, qui avait réuni dans l’origine toute la population mâle, n’en comprenait plus, dans certains de ces cantons, que la moitié, et même, dans quelques autres, que le quart.

Quant aux sept autres cantons, ils n’avaient pas même la prétention d’être considérés comme des démocraties, et ils acceptaient sans difficulté la désignation de cantons aristocratiques. C’étaient ceux de Soleure, Lucerne, Fribourg, Berne, Zurich, Bâle, et Schaffouse. Berne surtout était remarquable par la concentration de tous les pouvoirs entre les mains de quelques familles. Ce canton avait dû à sa constitution aristocratique le privilége de devenir le plus puissant de la Suisse ; il est, comme on sait, de la nature même des aristocraties d’être conquérantes, et de donner aux pays qu’elles gouvernent une grande énergie extérieure. Ce que le sénat de Rome, le conseil de Venise et le parlement d’Angleterre ont fait en grand, l’oligarchie bernoise l’avait fait en petit : même aujourd’hui, le canton de Berne est le plus étendu de la confédération. Avant la révolution de 1789, les cantons actuels de Vaud et d’Argovie obéissaient au gouvernement de Berne comme pays conquis. Il est vrai que