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REVUE LITTÉRAIRE.

Rome, était borné par les sept collines. Bullet, pour citer un nom moins connu (car la philologie ne donne pas toujours la gloire), Bullet fit table rase du grec et du latin, et se jeta tête baissée dans le monde celtique, et après une longue pérégrination, il finit par se retrouver au pied de la tour de Babel. Pour les esprits moins aventureux, l’analyse éternelle du fameux serment de Louis-Le-Germanique était le dernier mot de la science. On s’arrêtait comme les voyageurs au cap Nord, ubi deficit orbis. Pourquoi donc, après tant d’essais, aucune œuvre complète n’avait-elle encore été réalisée ? C’est que la critique, la méthode, la connaissance suffisante des langues antiques et modernes, des langues de l’Inde et de l’Europe, ont manqué généralement aux philologues. Heureusement l’Allemagne, qui malgré sa poésie rêveuse, a le génie du rudiment, s’est inquiétée de cette dégradation, et sur le champ tant de fois labouré de la grammaire générale, elle a creusé des sillons profonds ; elle a poussé, comme Alexandre, ses conquêtes jusqu’à l’Indus. La linguistique a fait révolution, et la France a pris part au mouvement. Déjà Raynouard avait parlé de nouvelles voies, mais, avec son tour d’esprit absolu, il n’avait vu que la France du midi et il avait fait servir une admirable science de détails à la défense d’une hypothèse qui n’a guère plus de solidité que les rêveries de Henri Estienne ou de Bullet. Il appartenait à M. Ampère de réhabiliter parmi nous la philologie justement décriée. En suivant dans un vaste travail d’ensemble notre culture littéraire, il a étudié la langue, à travers ses développemens, dans son enfance, sa puberté, son âge mûr, et pour en écrire l’histoire, il n’a point élevé tout système exclusif sur quelques phrases recueillies au hasard sur des monumens d’une date douteuse, sur les lettres à demi effacées d’une inscription runique ; il a vu par lui-même, il a contrôlé par sa propre autorité les textes latins, provençaux, picards ; il a analysé, en comparant les idiomes les plus divers, les principes généraux de la transformation des langues, et il est arrivé de la sorte à poser des principes sûrs, des règles incontestables, qu’il a lui-même rigoureusement respectées.

Dans une introduction rapide, qui est à elle seule un morceau capital et qui résume à grands traits d’immenses lectures, M. Ampère trace l’histoire de notre littérature du moyen-âge, du moment où la langue vulgaire commence à devenir l’instrument actif de la pensée. C’est un curieux spectacle que cette lutte de deux langues, l’une décrépite et l’autre dans l’enfance ; et, tout en suivant avec un vif intérêt les progrès de cet idiome barbare qui deviendra l’admirable organe de Bossuet et de Molière, on ne peut s’empêcher de plaindre cette langue puissante du passé qui a subi tant de dégradations, qui est tombée de Cicéron aux Casuistes, et qui, chassée enfin de la philosophie et de l’histoire, après s’être réfugiée dans l’église, n’a plus trouvé pour asile que le thème et la thèse.

Lorsqu’il arrivé à l’histoire primitive de la langue française, M. Ampère laisse sagement de côté la question tant de fois débattue de l’origine du langage ; il cherche à établir avant tout la filiation et la parenté des idiomes qui ont formé notre vocabulaire et notre syntaxe. Or, quels sont, dans cette syntaxe,