Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
REVUE DES DEUX MONDES.

déposer son vote, mais la nomination définitive appartient au peuple. Quand il est investi du pouvoir par la volonté nationale, le monarque, sous peine d’être déclaré tyran, doit se contenter d’un rôle tout-à-fait modeste. S’agit-il de la paix, de la guerre, d’un traité, d’un impôt, et même d’une dépense imprévue, ce roi, qui n’a point l’initiative, doit consulter les chambres, cameræ ordinariæ, et c’est le devoir des chambres d’avoir pour lui de la sagesse, de la prévoyance, de l’économie ; car, dans la religion politique dont Languet donne le catéchisme, ce n’est pas le pape qui est infaillible, mais le concile seulement. La conclusion du livre est toute pratique et peut se résumer ainsi : Le monarque légitime, c’est-à-dire celui qui a été élu par le peuple, n’est justiciable que des états. L’usurpateur est justiciable du poignard. Cette dernière maxime a été de notre temps appliquée à Napoléon, comme cela se voit, à propos de George Cadoudal, dans les vies des héros vendéens, publiées, je crois, par la Société des Bons Livres. M. Loriquet doit aussi en avoir touché quelque chose dans son Histoire de France, curieux travail qu’on a tort d’oublier, et dont je conseille la lecture à messieurs les professeurs d’histoire qui s’amusent à refaire en Sorbonne un piédestal à Loyola et à son institut.

Le livre de Languet et les traités du même genre ne sont plus connus aujourd’hui que des bibliophiles ; mais la Servitude volontaire de la Boétie a conservé quelques lecteurs. C’est une déclamation contre le pouvoir, quel qu’il soit, et cette opiniâtre volonté de servir si avant enracinée dans les hommes. Quant à la conclusion pratique, la Boétie n’en donne aucune. En 1579, le poète écossais Buchanan reprit en sous-œuvre le thème d’Hotman et de Languet, et le De Jure regni eut en France le plus grand retentissement, car les beaux esprits aimaient à retrouver dans cette œuvre la théorie du régicide embellie d’un latin cicéronien et de toutes les aménités de la rhétorique. Ce fut là le dernier manifeste de la démocratie calvinienne.

Les protestans, en émettant, en soutenant ces doctrines, avaient-ils été sincères ? Réclamaient-ils l’égalité, l’allégement, au profit du peuple, des charges publiques, et surtout des charges féodales ? S’occupaient-ils de préparer aux classes souffrantes de la société un meilleur avenir ? Non. L’idée s’était mise cette fois au service des passions et des intérêts. Les écrivains démocrates travaillaient au profit de l’aristocratie. Telle est du moins l’opinion de M. Labitte, et, quand on a lu son livre, il est difficile de ne pas se ranger à son avis. La politique radicale passe, suivant les évènemens, d’un pôle à l’autre. Ainsi Hotman, qui avait proclamé la souveraineté populaire quand il s’agissait de renverser Charles IX, se déclare dans le De Jure successionis pour la succession linéale, parce qu’alors il s’agit de faire régner Henri IV. C’est l’histoire de certain journal réclamant après 1830 le suffrage universel.

Nous savons les antécédens de la ligue, voyons le rôle de ses prédicateurs ; c’est un spectacle à la fois grotesque et impie. Les premiers symptômes sérieux de l’union se manifestèrent, on le sait, en 1576. Dans un conseil tenu à Rome, il fut décidé que les prêtres dans la chaire et le confessionnal devaient s’élever contre les priviléges accordés aux sectaires, et empêcher qu’ils n’en jouissent ;