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REVUE LITTÉRAIRE.

Petit, en se déclarant l’apologiste du meurtre du duc d’Orléans, avait posé le premier dans la chaire la doctrine du tyrannicide : « On peut tuer pour Dieu et dans l’intérêt général ; on peut tuer pour le roi. » Tel est son thème. La ligue dira : « Il faut tuer le roi ! » Là sera le progrès. En France, ces sorties contre le pouvoir restèrent impunies. Maillard put sans danger s’attaquer à Louis XI, et répondre à Olivier-le-Daim qui menaçait de le jeter à la Seine : « Va dire à ton maître que j’irai plus vite en paradis par eau que lui avec ses chevaux de poste. » Guillaume Pépin proclama du haut de la chaire, sans que personne en fût ému, que la royauté est l’œuvre du Diable, et que la liberté seule est de droit divin. Mais les papes furent plus sévères que les rois de France. Pie V envoya d’un seul jour vingt-deux prédicateurs aux galères, parce qu’ils se mêlaient de politique, et la mort de Connecte et de Savonarole atteste que la cour de Rome réservait sa pitié et ses pardons pour les ames du purgatoire. Après avoir ainsi montré dans Jacques-le-Grand, dans Petit, dans Maillard, Pépin, etc, les aïeux catholiques des prédicateurs du XVIe siècle qui proclamèrent, les uns la souveraineté populaire, les autres le meurtre politique, M. Labitte cherche la part que les réformés ont à réclamer dans la propagation et la défense des doctrines de la ligue. C’est une curieuse étude, où toutes les assertions sont justifiées par les textes les plus précis.

Le premier pamphlet ouvertement démocratique du XVIe siècle fut écrit par un évêque anglais, réfugié à Strasbourg, Jean Poynet, qui fuyait l’inquisition de la reine Marie. Poynet absout le tyrannicide et le déclare un acte juste et conforme au jugement de Dieu. Sa théorie ne tarda point à recevoir une application, et Poltrot, qui avait tué le duc de Guise, fut pleinement justifié par les protestans. Le radicalisme calviniste lança bientôt, par la plume d’Hotman, un manifeste plus célèbre, le Franco-Gallia, qui avait pour but d’établir, à l’aide de preuves tirées de l’histoire nationale, que le principe de l’hérédité est un principe faux et dangereux, et que les peuples ont toujours droit de se choisir un roi. Directement ou d’une manière détournée, on saisissait ainsi toutes les occasions de déconsidérer la royauté. En 1575, l’auteur de la France Turquie demanda que la reine mère fût enfermée dans un couvent. Il établit de plus la théorie du refus de l’impôt. Les esprits les plus calmes eux-mêmes se laissaient entraîner sur cette pente rapide, et Bodin, qui défendait la monarchie pure, absolvait en certains cas le régicide. Ce n’étaient là cependant que des affaires d’avant-garde. Le calviniste Hubert Languet parut à son tour armé du Vindiciæ contra tyrannos, qu’il signa Junius Brutus. Les sujets sont-ils dispensés d’obéir au prince qui leur commande quelque chose de contraire à la loi de Dieu ? Est-il permis de résister à un souverain qui veut enfreindre cette loi et qui ruine l’église et l’état ? Quelles sont les armes légitimes de la résistance ? Telles sont les questions générales que se pose Junius Brutus, qui n’admet que la souveraineté populaire pour principe du gouvernement. Le prince, dit-il, n’est pas le délégué de Dieu, mais son humble vassal. Brutus, il est vrai, concède à l’Éternel quelques droits électoraux. Il l’admet au scrutin, lui permet de présenter son candidat, de