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ÉLEUSIS.


Tiens ton ame attentive aux saintes voix du monde.
Poète, écoute encore les vents, les bois et l’onde ;
Chaque jour écartant un vain sujet d’effroi,
La Nature s’approche et tend les bras vers toi ;
Sa voix, de jour en jour moins mystique et plus tendre,
T’expliquera son chant que nul n’a su comprendre ;
À son grand livre ouvert dans un antre inconnu
Comme en ton propre cœur tu pourras lire à nu.

Éros, le dieu vermeil que la mort décolore,
Expire sur les fleurs qu’il vient de faire éclore ;
Pose, ô cœur de seize ans, tes baisers sur son front,
Mais sans larme ; à leur dieu les roses survivront.
Va, les tendres soucis, les langueurs, les ivresses,
La volupté des pleurs, l’âcreté des caresses,
Ces flèches de son arc, ces feux de ses autels,
Ces mille maux si doux, enfant, sont immortels !

Hommes, l’ardent soleil dont un âge s’éclaire
Est pour l’âge qui suit un feu crépusculaire ;
Le flambeau de vos fils qui d’avance vous luit
Près de l’astre à venir n’est encor qu’une nuit.
À chaque heure l’éther brille de plus de flamme,
Et pour s’en pénétrer s’élargit l’œil de l’ame,
Chaque jour ce grand lac, qui croît incessamment,
Réfléchit plus au loin l’azur du firmament ;
Chaque jour il enferme une nouvelle étoile ;
Le ciel, pour s’y mirer, jette son dernier voile
Jusqu’à l’embrassement immense et triomphal
Où doivent s’absorber la terre et l’idéal.
Alors, dans l’Océan dont elles sont les gouttes,
Pour n’en sortir jamais les ames fondront toutes,
Et chaque être vivra dans un être commun,
Et la lumière et l’œil enfin ne seront qu’un.


Victor de Laprade.