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ÉLEUSIS.

Un deuil silencieux va peser sur nos champs,
Car les dieux ne sont plus qui conduisaient les chants.
À qui conterons-nous nos souffrances secrètes,
Et qui nous répondra dans les saintes retraites ?

Si la nature est vide, et si les dieux sont morts,
S’il ne nous reste plus ici-bas que leurs corps,
Si les mers, les forêts, n’ont rien qui sente et veuille
Quand la vague se gonfle et quand tremble la feuille,
Si tout enfin, les cieux, les vents, les eaux, les nuits,
Au lieu d’avoir des voix n’ont plus rien que des bruits,
Qu’écoutons-nous encor ? Sur nos lyres muettes
Penchons-nous pour pleurer et pour mourir, poètes !

LE CHOEUR.

Heureux le toit caché dans l’ombre et vert de mousse,
Où l’homme est à l’abri de l’ardeur qui nous pousse,
Adore sans orgueil les lares paternels,
Son fleuve, sa forêt, les astres éternels,
Et la nuit qui le berce, et l’aube qui l’éveille,
Et les riches saisons qui comblent sa corbeille,
Et tous ces dieux amis, ces esprits familiers
Errant dans la nature avec lui par milliers.
Jamais l’homme n’est seul dans ces douces vallées,
D’hôtes chers et sacrés son cœur les voit peuplées ;
Tout lui parle, il comprend, il répond en tout lieu ;
Chaque être qui l’entoure est son frère ou son dieu.

Mais, si, las d’adorer, il sonde la nature,
S’il chérit moins la paix qu’il ne hait l’imposture ;
Si, pour voir ses dieux nus dans leurs antres secrets,
Il trouble leur sommeil de ses pas indiscrets,
Pour les faire parler, s’il veut les mettre aux chaînes ;
S’il creuse leurs ruisseaux, et s’il fend leurs vieux chênes,
Alors des eaux, de l’air, des fleurs, de toutes parts
Comme des vols d’oiseaux s’en vont les dieux épars ;
Et, trompé comme nous dans son attente avide,
Il s’assied l’œil en pleurs, seul en face du vide.
Dans ce morne royaume il cherche avec effroi,
Après les dieux tombés, quel est le dernier roi !