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EUSTACHE LESUEUR.

veraine sur tout ce qui dépendait des arts du dessin. Et cela dura non-seulement tant que vécut le roi, mais tant que régnèrent et son fils et deux de ses petits-fils. Ce ne fut qu’en 1570 que le Primatice termina sa longue carrière : il y avait vingt-neuf ans qu’il jouissait d’une sorte de domination sur les travaux d’art à la cour de France ; il y en avait trente-huit que cette domination appartenait à un Italien. Et notez bien qu’indépendamment de ces influences permanentes, l’Italie n’avait cessé pendant ce temps d’agir sur nous non-seulement par les émigrations fréquentes de subalternes et de manœuvres, mais par les voyages plus ou moins prolongés d’hommes d’un certain renom, tels que Nicolo de Modène, Vignola, Servio, Salviati et beaucoup d’autres.

Il ne faut cependant pas en conclure que le goût français se fût complètement italianisé, et qu’une subite métamorphose se fût opérée à la voix de François Ier. Les choses ne vont pas aussi vite ; même à la cour, il y avait deux partis : il est vrai que ceux qui ne cédaient pas au torrent et qui se déclaraient médiocrement touchés de toute cette science italienne, étaient en assez faible minorité ; mais à la ville, mais dans le pays, c’était tout le contraire.

Il est assez difficile de définir et de caractériser ce qu’était alors le goût français proprement dit ; il faudrait remonter jusqu’au XIIIe siècle pour trouver dans sa pureté et dans son énergie ce qu’on peut appeler notre goût vraiment national. Sous saint Louis, tout est simple, naturel, à grands traits ; le matériel de l’art, le métier, est encore novice, mais l’idée est puissante et le sentiment vivifiant. C’est là notre véritable renaissance, celle qui vient de nous-mêmes et qui n’appartient qu’à nous. Aussi, pas l’ombre de bizarrerie ni d’affectation : c’est la clarté, la netteté, la facilité de l’esprit français. L’influence germanique et l’influence italienne n’apparaissent pas encore ; mais bientôt une certaine subtilité à la fois naïve et raffinée, un certain naturel trivial en même temps qu’affecté, nous arrivent d’Allemagne et de Flandre par le chemin de la Bourgogne ; l’invasion commence au XIVe siècle, elle est complète au xve. Heurement, comme pour nous servir de contre-poison, le XVe siècle est à peine à son déclin, que nous voyons venir de Lombardie un essaim de formes charmantes, pures, suaves, enchanteresses, comme tout ce qui se créait encore alors sous ce ciel privilégié.

C’est à cette double influence qu’obéissent presque tous nos artistes sous Charles VIII, sous Louis XII et dans les premières années de François Ier. Leurs compositions n’ont plus le cachet flamand ni