Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
REVUE DES DEUX MONDES.

mystères, et en quelques années maître François d’Orléans, maître Simon de Paris, maître Claude de Troyes, maître Laurent Picart, étaient aussi bien en état de manier hardiment la brosse, de faire des muscles outrés et de donner à leurs figures des poses théâtrales, que s’ils eussent passé toute leur vie au-delà des monts.

Les gens de cour crièrent miracle, le roi fut enchanté, et le Rosso se fit valoir. Il venait, disait-il, de civiliser la nation française en l’initiant aux secrets de l’art italien. Aussi, fut-il successivement nommé surintendant des bâtimens royaux, valet-de-chambre du roi, puis chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris ; il touchait de gros revenus et menait grand train de gentilhomme, avec force domestiques, chevaux et bonne table.

Mais au milieu de cette prospérité la mort le surprit : il avait à peine cinquante ans ; il y en avait neuf qu’il était en France[1].

Le Primatice lui succéda dans son emploi de surintendant des travaux de Fontainebleau ; c’était un esprit plus fin, plus délicat, moins absolu que le Rosso. Il tenait, par ses premières études, à l’école de Raphaël, mais il s’était gâté la main et le goût ; il était tombé dans la pratique et la manière en travaillant à Mantoue, sous les ordres de Jules Romain, devenu lui-même infidèle à ses traditions de jeunesse.

Ainsi, les leçons du Primatice, pas plus que celles de son prédécesseur, ne devaient nous reporter aux beaux temps de la peinture italienne[2] ; il y avait dans les œuvres du nouveau surintendant quelque chose de plus élégant, de moins pédantesque, mais c’était la même habitude des procédés d’école, le même oubli des vérités et des inspirations primitives. L’un comme l’autre faisaient franchir à pieds joints près de deux siècles d’intervalle ; lacune irréparable par laquelle nous tombions brusquement de cette simplicité qui s’essaie à étudier la nature, mais qui ne sait pas encore l’exprimer, à cette habileté qui ne daigne plus la consulter et qui la défigure en voulant l’embellir.

Si les faveurs royales avaient été prodiguées au Rosso, le Primatice en fut accablé. Le roi le mit à la tête de tous ses travaux, lui confia la direction de toutes ses fêtes, l’acquisition de tous ses tableaux ou statues ; rien enfin ne fut négligé pour qu’il exerçât une action sou-

  1. 1532-1541.
  2. Les seules leçons de la belle époque, les seuls exemples de l’âge d’or qui avaient pénétré en France, c’étaient huit ou dix tableaux acquis par le roi, et qui ornaient son cabinet. Dans ce nombre, il y en avait quelques-uns de Raphaël, mais presque tous de sa dernière manière.