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LITTÉRATURE DE L’ARCHIPEL D’ASIE.

COLÈRE DE KRISCHNA

Le dieu Krischna est envoyé auprès du chef de la famille des Kourous, Souyoudana, pour réclamer la moitié du royaume d’Astina en faveur des fils de Pandou. Le père et la mère de Souyoudana, ainsi que tous les plus vieux et les plus graves pandits, sont d’avis d’accepter la proposition et de terminer l’affaire à l’amiable ; mais les jeunes conseillers du prince branlent la tête en signe de désapprobation et se montrent prêts à attaquer et à tuer Krischna. D’un autre côté, le dieu apprend que Douriodana a conçu le projet de le faire périr, et qu’à sa voix le peuple s’est rassemblé en armes.


75. — À cette nouvelle, donnant un libre essor à son courroux, Krischna s’élance de son siége. La colère enflamme son ame et bouillonne au dedans de lui comme la fureur qui anime le dieu Kala. Sa parole douce devient rude et retentissante ; il revêt la forme du tout-puissant Wischnou. Son corps réunit la force des trois pouvoirs et des trois mondes.

76. — Sur ses épaules, d’où sortent quatre bras, s’élèvent trois têtes et trois yeux. Le pouvoir et les attributs de chaque divinité entrent en lui ; il concentre en sa personne les forces de Brama, des saints, des dieux les plus puissans, des chefs des Rakschasas (démons), de tous les êtres qui peuplent le monde immatériel ou qui possèdent quelque pouvoir dans l’univers.

77. — Il balance son corps de côté et d’autre, et le souffle de son haleine résonne comme le rugissement du lion. À la vue du dieu courroucé, la terre effrayée tremble jusque dans ses fondemens : tout ce qui la couvre chancelle : les montagnes courbent leurs cimes et se heurtent, les vagues de la mer se soulèvent au niveau des collines les plus hautes, se creusent en tourbillons, et vomissent sur le rivage les monstres qui habitent les profondeurs de la mer.

78. — À l’instant la terreur saisit les cent fils de Kourou. Ils restent interdits et muets ; une pâleur mortelle se répand sur leurs traits et gagne même ceux du prince Kerna. Souyoudana et Youyoutsou s’évanouissent ; on les croirait privés de volonté et de sentiment.

79. — Cependant Drouna, Bisma et le bon pandit Narada[1] se mettent en prières aux pieds de Wischnou, et répandent devant lui un nuage de fleurs à l’odeur embaumée. N’es-tu pas le dieu du jour ? lui disent-ils ; veux-tu être aussi le dieu de la destruction ? Prends pitié de ce monde et de tous les êtres qu’il renferme.

80. — Si tu veux la perte des fils de Kourou, elle est inévitable ; mais songe

  1. Drouna, Bisma et Narada étaient trois pandits ou docteurs attachés à la cour du roi d’Astina.