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langues isolément et en dehors de la famille à laquelle elles appartiennent. Pour en comprendre le génie, pour suivre le développement par lequel elles ont passé, et les faire servir de base aux recherches ethnographiques, il est nécessaire de les considérer dans l’ensemble du système dont elles font partie. On sait que le premier et le plus important résultat de l’étude comparée des idiomes, de cette étude dont Leibnitz a posé les principes, et qui a pris rang de nos jours parmi les sciences positives, a été la découverte de l’aptitude que possède chacun d’eux à se grouper par familles ou grandes divisions corrélatives aux variétés physiques qui partagent notre espèce. Parmi ces familles de langues, il n’en est pas qui puissent fournir pour la connaissance de l’homme un champ plus vaste d’observations neuves et fécondes que celle dont le malay et le javanais forment le principal rameau. Cette famille distingue des races dont l’origine est encore un problème pour la science, dont les caractères physiologiques sont loin d’être déterminés, et qui se sont répandues dans le plus vaste espace où jamais peuple ait porté ses migrations, car on les retrouve dans toutes les îles de la mer des Indes et du grand Océan, dans un espace de 190 degrés en longitude, c’est-à-dire de près de quatre mille huit cents lieues ; et, phénomène encore plus étonnant, plusieurs de ces langues, parlées à des distances énormes l’une de l’autre, comme le bisaya aux Philippines et la langue madécasse, offrent entre elles de telles ressemblances, que l’on croirait entendre, suivant la remarque du savant orientaliste Marsden, les dialectes de deux provinces voisines d’un même royaume. Je les désignerai toutes sous la dénomination commune d’océaniennes, du nom de la partie du globe dans laquelle elles sont en usage. Le premier voyageur qui ait songé à en recueillir quelques mots est le crédule et amusant Pigafetta, qui accompagnait Magellan, en 1519, dans la première exploration qui ait été tentée autour du monde. Il a consigné à la fin de son journal trois vocabulaires dont l’un est de la langue de Tidor, l’une des îles Moluques. Son exemple fut suivi par la plupart des voyageurs venus après lui. Vers le milieu du siècle dernier, Forster donna un tableau comparatif, dans lequel il mit en regard onze des dialectes de l’Océanie avec le mot correspondant en malay, et dans les langues du Chili, du Pérou et du Mexique. De ce rapprochement il résulta le fait très curieux que ces dialectes présentaient de nombreuses analogies avec le malay, et n’avaient aucun point de contact avec les langues américaines. Les savans navigateurs Bougainville et Cook s’attachèrent aussi à rassembler les vocabulaires des peuplades qu’ils