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pas propre à ce rôle hardi de réformateur. Il faisait souvent acte de résistance, mais souvent il cédait au torrent. Son intention n’en était pas moins réputée pour le fait, et le projet de n’appartenir à personne le faisait persécuter par tout le monde, aussi bien par l’Espagnolet au nom de Caravage, que par Lanfranc au nom de l’idéalisme.

Les essais du Dominiquin, ses tentatives d’indépendance et d’isolement, tentatives imparfaites, mais généreuses, furent les derniers efforts de l’individualité, de la vérité, de la conscience, contre la domination de la manière, contre le despotisme des ateliers. Aucun autre Italien, après lui, n’essaya de se révolter pour la liberté de l’art. Aussi, dès qu’il fut mort, ou même dès la fin de sa vie, de 1630 à 1640, on vit la peinture italienne descendre à un état encore plus banal, encore plus routinier, s’il est possible, que dans la période qui précède l’apparition des Carrache. Leur sagesse modératrice, l’originalité sauvage de Caravage, la suavité du Guide, la conscience de Dominiquin, n’avaient produit qu’un temps d’arrêt. La manière avait été rajeunie, modifiée, diversifiée ; elle n’avait pas été étouffée, et son action, un moment comprimée, allait déborder et se répandre avec une puissance invincible.

L’Italie et l’Europe n’en étaient pas moins convaincues qu’elles assistaient au véritable âge d’or de la peinture. La fécondité, la puissance extraordinaire de tous ces maîtres, les parties vraiment brillantes de leurs talens, la passion toujours croissante des grands seigneurs, des prélats, du public, pour les tableaux ; les controverses allumées, les querelles incessantes, tout, jusqu’aux coups de poignards et aux empoisonnemens, donnait aux questions d’art un aspect dramatique et saisissant. Jamais la peinture n’avait fait tant de fracas. La vie politique du pays, qui au temps des Médicis bouillonnait encore au fond de quelques ames, s’était complètement engourdie et avait fait large place à des passions plus innocentes, mais non moins vives. Les ateliers étaient des clubs agités, intolérans, tapageurs. Disserter sur la peinture était la première affaire de la vie. Il n’est donc pas étonnant que les contemporains aient pris le change et qu’ils aient cru que les choses dont on parlait avec tant de feu et de passion n’avaient jamais été aussi belles ni si parfaites. Les idées vraies sur la marche et sur l’histoire de l’art n’étaient encore soupçonnées de personne, et chacun s’imaginait qu’en peinture, comme dans les sciences physiques, l’expérience était la condition du progrès, et que le dernier mot était toujours le meilleur.

C’est au milieu de ces illusions, c’est dans cette atmosphère d’er-