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L’ISTHME DE SUEZ.

ces colonnes qu’on avait pris tant de peine à extraire, à tailler, à polir, il a fallu qu’on y fût contraint par quelque obstacle imprévu qui vint arrêter tout à coup l’exécution des commandes. Ne serait-ce pas la cessation de la navigation du canal ? Or, une inscription[1] trouvée à Syène atteste qu’entre les années 205 et 209 de notre ère, sous le règne simultané de Septime Sévère et de ses fils, de nouvelles carrières (novæ lapicidinæ) furent trouvées (adinventæ) et qu’on en tira des pilastres (parastaticæ), ainsi que des colonnes grandes et nombreuses (columnæ grandes et multæ), ce qui prouve que, dès le commencement, ces carrières furent exploitées en grand, et fournirent de ces colonnes monolithes plus ou moins colossales dont les carrières de Djebel-Fateereh conservent encore de si nombreux échantillons. Tout atteste, en effet, que dans aucun temps, l’architecture ne fit plus d’usage de monolithes pour la décoration, soit des édifices, soit des places publiques, au moyen de colonnes triomphales, comme celle de Pompée. J’ai émis la conjecture que cette immense colonne était une des columnæ grandes tirées de ces nouvelles carrières ; la nature du granit, qui est la même que celle du cippe sur lequel est gravée l’inscription latine que je viens de citer, rend la conjecture bien probable.

Il devient donc vraisemblable que l’abandon des carrières de Djebel-Fateereh est dû à l’ensablement du canal ; aussitôt qu’il cessa d’être navigable, on dut renoncer à terminer toutes ces colonnes qu’on n’avait plus de moyens de transporter en Égypte. On fut donc contraint de renoncer à cet établissement, et de transporter les grandes exploitations de cette belle matière dans une localité d’où le transport fût plus facile : l’ouverture des nouvelles carrières de Syène aura été une suite de cet abandon.

Mais observons que le délaissement de l’exploitation du granit à Djebel-Fateereh n’a pas nécessairement entraîné celui de l’exploitation du portphyre dans le Djebel-Dokhan. Celle-ci a pu subsister, même après l’ensablement du canal, parce qu’elle produisait des pièces d’une grandeur moindre, qu’on pouvait, à force de bras et d’efforts, transporter par la voie du désert. Un passage d’Eusèbe[2] montre, en effet, que les carrières de porphyre étaient toujours en

  1. Cette inscription, copiée d’abord à Syène par Belzoni et Caillaud, est entrée depuis au musée du Louvre, avec d’autres pièces provenant de la collection Mimaut.
  2. Hist. Eccles. lib. , c. 8 (De Martyr. Palœst.)