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Or, nous avons vu plus haut que l’empereur Trajan est précisément celui qui reprit les travaux du canal et voulut donner une nouvelle activité à cette utile navigation. Ces inscriptions confirment donc pleinement le témoignage de Ptolémée, et la coïncidence des époques permet de croire que l’établissement des nouvelles carrières de granit et le besoin d’en faciliter l’exploitation, en se procurant les moyens de transporter les plus lourds matériaux directement du port de Philotéra au Nil, sont entrés dans les motifs qui déterminèrent Trajan à perfectionner et à étendre la navigation du canal.

Une autre coïncidence remarquable montre que l’existence de ces carrières était liée avec celle de ce canal, car nous voyons cesser leur exploitation en même temps que la navigation du canal fut abandonnée.

Qu’elle fût encore en pleine activité dans les premières années d’Antonin, c’est ce qu’atteste un passage de Lucien[1] où il est parlé d’un jeune homme « qui, s’étant embarqué (à Alexandrie), remonta le Nil et navigua jusqu’à Clysma (port à l’extrémité du canal sur la mer Rouge). » Ce texte est d’autant plus important que, comme Lucien, qui florissait vers 160 ou 170, avait exercé en Égypte des fonctions importantes[2], son témoignage n’est sujet à aucune erreur.

Dans le silence absolu de l’histoire, il est impossible de savoir si le canal servit long-temps après cette époque. On peut admettre qu’il resta navigable au moins pendant le siècle florissant des Antonins, qui veillèrent avec tant de soin à maintenir toutes les sources de la prospérité de l’empire. L’époque de l’ensablement du canal doit coïncider avec celle de l’abandon des carrières du mont Fateereh, et en même temps avec l’ouverture de nouvelles carrières de granit plus voisines du Nil.

Sir Gardner Wilkinson a reconnu, par l’examen attentif des lieux que celles de Djebel-Fateereh ont été abandonnées peu de temps après le règne d’Adrien. Les nombreux fûts de colonnes, les chapiteaux et autres parties d’architecture qui s’y trouvent encore toutes préparées, et semblent n’attendre plus qu’un dernier effort pour être expédiées à leur destination, tout indique que, lorsque les carrières ont été délaissées, l’exploitation y était dans tout son développement. Pour perdre le fruit de tant de travaux, pour abandonner

  1. In Pseudom. § 44, p. 339 de l’excellente édition publiée par M. Didot, dans sa bibliothèque des classiques grecs.
  2. Lucian., Apologia pro mercede cond., § 12, p. 202.