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de la mer devait être déjà bien difficile à franchir. Malgré les puissans moyens mécaniques que notre savant ingénieur Lebas avait à sa disposition, nous savons avec quelle peine et quelle lenteur il a pu faire avancer de quelques centaines de pas l’obélisque de Louqsor, dont le poids ne doit pas excéder de beaucoup celui des colonnes du Djebel Fateereh. Ce n’est certes pas faire injure à la mécanique ancienne que de douter si les Romains pouvaient disposer de semblables ressources, surtout dans ce désert écarté. Ils employaient, selon toute apparence, des machines fort simples, remplaçant l’impuissance des moyens par le nombre de bras et une énergique volonté. Grace à l’inclinaison du terrain depuis la carrière jusqu’au lieu d’embarcation, on avait pu pratiquer une chaussée à pente continue et diminuer ainsi beaucoup le tirage ; mais il ne fallait pas moins un énorme travail pour traîner de semblables fardeaux jusqu’à la mer. Quant à la route de terre, indépendamment de sa longueur, la disposition du terrain la rendait décidément impraticable pour de tels fardeaux.

Ainsi la voie de mer a dû être la seule possible en certains cas, et celle qu’on a dû toujours préférer, si la côte voisine offrait quelque port commode pour l’embarquement.

Maintenant, il est fort remarquable que précisément sur les deux points de la côte qui correspondent aux deux centres d’exploitation, se trouvent le port de Myos Hormos, qui, sous les empereurs, devint l’entrepôt du commerce de l’Inde, et celui de Philotéra, fondé par un amiral de Ptolémée Philadelphe, qui lui donna le nom d’une sœur de ce prince. Cette correspondance ne peut être fortuite ; elle nous explique pourquoi l’on avait choisi pour l’exploitation du porphyre et du granit ces deux localités entre celles qui, au midi et au nord, pouvaient aussi bien convenir. La grande distance qui les sépare (environ quatre-vingts kilomètres) devait d’autant plus surprendre, que des inscriptions dédicatoires, gravées sur la façade de deux temples dans chacune des deux localités, prouvent quelles étaient placées sous la même administration politique et financière ; c’étaient des espèces de bagnes où l’on envoyait des condamnés (κατάδικοι, dit Aristide), qu’on réunissait en grand nombre dans ce désert écarté ; elles étaient gardées par la même cohorte, surveillées par le même procurateur de César ; et affermées au même individu, qui prend le titre d’esclave de César. Leur éloignement devait être une source de graves difficultés et de complications nombreuses, dans une région de montagnes où l’on avait à se défendre contre les incursions des Arabes. Il fallait donc qu’on eût été contraint, par une puissante né-