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EUSTACHE LESUEUR.

Caravage ne vécut pas long-temps : une fièvre violente l’emporta, en 1609, à l’âge de quarante ans. Le plus célèbre des Carrache, Annibal, mourut la même année. Quant à Josépin, il eut le talent de vivre plus de trente ans encore : mais la mort de ses rivaux ne changea rien à sa vie militante. Caravage laissait des élèves tout aussi exclusifs, tout aussi passionnés que lui. Les Guerchin, les Ribera, loin d’éteindre le feu de leurs sarcasmes, donnèrent aux hostilités un caractère peut-être encore plus violent. Josépin soutint le choc et resta jusqu’au bout de sa longue carrière à la tête d’un parti puissant, quoique obscur, et dans les bonnes graces d’une fraction notable du public italien.

Il est vrai qu’une heureuse diversion, en appelant ailleurs ses adversaires, lui avait permis de respirer. Ici se présente une nouvelle phase de cette histoire que nous cherchons vainement à ne pas trop prolonger.

De l’atelier des Carrache étaient sortis quelques hommes sur lesquels tous les regards commençaient à se fixer. L’un d’eux, le Guide, après avoir essayé du goût mixte et tempéré de ses maîtres, y avait renoncé comme Caravage, mais pour prendre la route opposée. Caravage s’était fait systématiquement obscur, le Guide résolut de se faire systématiquement lumineux. L’un n’introduisait la lumière que par le trou de la serrure, l’autre en inonda ses tableaux. À tout ce qu’il y avait de neuf et de séduisant dans ce parti pris, dans ce plein soleil systématique, ajoutez un dessin doux et facile, une touche gracieuse, une imagination souple, féconde, parfois brillante, et vous comprendrez les immenses, les triomphans succès de Guido Reni. Jamais peut-être aucun peintre, même dans la grande époque de l’art, n’avait excité pareil enthousiasme ; jamais pareille cohorte d’élèves et d’admirateurs ne s’était pressée dans un atelier.

Les naturalistes, laissant là le Josépin, tournèrent bien vite leurs attaques contre le nouveau venu ; mais, soit que la place leur parût trop fortement gardée, soit que l’esprit de système, bien que diversement appliqué, établit entre eux et le Guide une certaine communauté sympathique, la guerre fut de courte durée, et ils préférèrent se ruer sur un autre élève de Carrache qui se proposait un tout autre but que son heureux camarade. Le Dominiquin avait formé le dessein de ne suivre aucun système, pas même l’éclectisme, de n’adopter aucune manière, de travailler à sa mode avec patience et réflexion. Sa bonne foi pleine de faiblesse, son esprit sévère, mais indécis, son imagination noble et pure, mais inégale, ne le rendaient