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L’ISTHME DE SUEZ.

qu’elle avait eu de César : précaution inutile, puisque, plus tard, son précepteur Rhodon le ramena à Alexandrie, sous prétexte qu’Auguste voulait lui rendre la couronne ; mais à son retour il fut mis à mort[1]. Lorsque Antoine revint à Alexandrie, il trouva, dit Plutarque, Cléopâtre occupée de l’entreprise gigantesque de faire passer sa flotte par-dessus l’isthme qui sépare les deux mers[2].

Lebeau[3], Larcher[4], MM. Le Père[5] et Rozière, ont regardé ce passage comme décisif pour établir que sous les derniers Lagides la communication par le canal n’existait plus, et, en effet, s’il fallait le prendre à la lettre, on n’en pourrait tirer une autre conséquence ; mais le récit de Diodore et de Strabon, témoins oculaires, ne permet pas d’admettre cette conséquence sans restriction. D’une autre part, quoique Plutarque écrivit cent vingt ans après l’évènement, et qu’il n’eût peut-être jamais visité l’Égypte, comme il avait composé sa vie d’Antoine avec de très bons matériaux, tels que les mémoires d’Auguste, il en coûterait trop à une critique prudente de rejeter tout-à-fait son récit. Mais heureusement on n’en est pas réduit à cette dure nécessité, puisqu’on peut le concilier facilement avec celui de Diodore et de Strabon.

Il a été remarqué qu’à cause de la faiblesse de la pente entre la mer Rouge et Bubaste, laquelle n’excède pas deux mètres dans les circonstances les plus favorables, la navigation du canal ne pouvait durer que peu de mois chaque année. Aussitôt que le Nil était descendu au-dessous d’un certain niveau, elle devait être interrompue[6] ; du moins, le passage du canal au Nil se trouvait forcément arrêté. L’étiage s’établit ordinairement en mars, et se prolonge jusqu’à la fin de juin ; mais long-temps avant et après ces époques, le chômage du canal devait avoir lieu. La bataille d’Actium se donna le 2 septembre de l’an 31 avant J.-C., et il résulte des évènemens qui suivirent cette bataille, qu’Antoine ne put rejoindre Cléopâtre que dans les premiers mois de l’an 30, en février ou plus tard encore[7]. Son retour a donc coïncidé avec le temps de l’étiage, c’est-à-dire

  1. Plut. in Anton. § 82.
  2. id., ib. § 70.
  3. Hist. du Bas-Empire, liv. LIX, § 14, t. XI, p. 298, 299, éd. Didot.
  4. Trad. d’Hérodote, t. III, p. 449, 450.
  5. Descr. de l’Égypte, État mod. t. I, p. 60.
  6. La même, Antiq. Mém., p. 144.
  7. Drumann, Geschichte Roms. Th. I, S. 486, ff.