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le passage des vaisseaux. J’avoue qu’aucun des deux auteurs, comme le remarque le traducteur allemand de Strabon, M. Groskurd, ne parle de ce second barrage mais il me semble nécessaire de l’admettre pour se rendre compte de l’opération. S’il en était ainsi, l’invention des écluses serait un peu plus ancienne qu’on ne croit ; ce ne serait pas une invention des ingénieurs italiens au XVe siècle ; du moins, ils auraient inventé, ce qui arrive souvent, une chose trouvée à leur insu, long-temps avant eux.

Mais, quelque idée qu’on se fasse du moyen employé pour le passage des bâtimens, ce moyen existait, il était en usage ; conséquemment, le canal avait été fini par Ptolémée Philadelphe, d’après l’assertion même de deux témoins oculaires. Leur témoignage doit l’emporter, comme celui d’Hérodote cité plus haut, sur ceux d’écrivains qui ne parlent que sur ouï-dire, tels que Pline et Plutarque qu’on leur a toujours opposés. Deux passages de ces auteurs n’ont pas peu contribué à embrouiller la question ; toutefois il est facile d’écarter une difficulté qui n’est qu’apparente.

Le premier dit, en effet, que Philadelphe ne conduisit le canal que jusqu’aux lacs amers, retenu par la crainte d’inonder l’Égypte[1] ; mais il détruit lui-même sa propre assertion, puisque, peu de lignes après, en parlant d’Arsinoé sur le golfe, fondée par Philadelphe à l’extrémité du canal, il ajoute que ce prince fit le premier explorer la Troglodytique, et donna son nom au fleuve Ptolémée, qui arrose Arsinoé (et amnem qui Arsinoen præfluit Ptolemæum appellavit) ; ce qui suppose nécessairement que Philadelphe l’avait conduit jusqu’au fond du golfe, et non pas seulement jusqu’aux lacs amers. Cette singulière contradiction prouve que, dans le premier passage, mêlant les noms de Sésostris, de Darius et de Philadelphe, il applique à l’opération du dernier ce qu’il ne devait dire que du premier et tout au plus du second.

Quant à Plutarque, il rapporte, dans la vie d’Antoine, qu’après la bataille d’Actium, Cléopâtre, désespérée et craignant de tomber entre les mains du vainqueur, résolut de se retirer, avec sa flotte et ses trésors, dans l’Inde[2], c’est-à-dire dans quelques-uns des établissemens formés sur la côte méridionale de la Troglodytique (qu’alors on appelait l’Inde), où déjà elle avait envoyé Cæsarion, le fils

  1. «… Deindè Ptolemæus sequens qui et duxit fossam… ad lacus amaros. Utrà deterruit inundationis metus… » (VI, 29, ou § 166, ed. Sillig.).
  2. C’est dans l’Inde (εἰς τὴν Ἰνδικήν) qu’elle avait envoyé son fils (Plut. in Anton. § 82) : elle voulait certainement aller le rejoindre.