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L’ISTHME DE SUEZ.

Nicaraga et de Léon, aura été exécuté. Dans ce cas, la théorie que je propose prendra beaucoup de consistance.

Quoi qu’il en soit de la cause, le fait est constant ; la Méditerranée est plus basse que la mer Rouge d’une quantité extrême d’environ dix mètres ; ainsi la communication directe entre les deux mers est soumise à des inconvéniens qui n’ont peut-être pas échappé aux anciens. Le résultat d’une telle différence serait de causer un courant rapide qui élargirait bientôt le canal, et, se précipitant avec force vers la Méditerranée, finirait par en élever le niveau ; le premier effet de ce changement serait la submersion des terres basses du Delta.

Suivons maintenant les efforts successifs des anciens, et voyons, à l’aide des témoignages de l’histoire, quel en a été le résultat aux diverses époques.

§ I. — DU CANAL SOUS LES GRECS.

Selon Aristote[1], Strabon[2] et Pline[3], l’idée de ce canal était venue en Égypte dès le temps de Sésostris, qui commença, mais discontinua l’entreprise, s’étant aperçu que la mer Rouge était plus haute que le sol de l’Égypte, et craignant que l’eau de la mer ne vînt gâter celle du Nil. Il semble pourtant que ce n’est qu’après Hérodote que les Égyptiens ont songé à faire remonter jusqu’à Sésostris l’idée de cette grande entreprise ; car au temps de cet historien, il n’en était pas question. Il dit formellement[4] que Néchos, le fils de Psammitichus (vers 615 ou 610 avant Jésus-Christ), le premier, entreprit de creuser le canal qui portait à la mer Rouge. L’expression entreprit, littéralement mit la main au canal, ne laisse point de doute sur l’idée qu’Hérodote a voulu rendre. Il est bien singulier que si, à cette époque, Sésostris eût passé pour le premier auteur de l’entreprise, les Égyptiens, si jaloux de la gloire de leurs anciens rois, si fiers de leur antique prospérité, n’en eussent rien dit à cet historien. La tradition doit donc être postérieure. Le creusement du canal tient évidemment à ces vues de commerce maritime qui paraissent être restées étrangères à l’ancienne Égypte, et qui ne se montrent qu’à l’époque où l’établissement des Ioniens, sous Psammitichus, vint si notablement modifier la politique de ce prince et de ses suc-

  1. Meteorol.l. i.
  2. lib. , p. 38 ; XVII, p. 804.
  3. lib. , 29, § 165, ed. Sillig.
  4. Herod. II, 158. — Diod. Sic. I, 33.