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LE PORTUGAL.

V.

Je le demande à tout homme qui voudra bien laisser de côté ses idées faites à l’avance ; importe-t-il beaucoup au bonheur du Portugal d’avoir un peu plus ou un peu moins de principes théoriques dans sa constitution, quand les lois ne sont pas sérieusement exécutées ? Il est futile de s’arrêter aux mots, et cruel de fermer les yeux sur les choses, lorsque la proclamation stérile de chaque liberté nouvelle blesse les mœurs de la nation. La liberté est fondée sur la connaissance des intérêts généraux, et en Portugal non-seulement on ne les comprend pas, mais on les dédaigne. Il faut bien en convenir, l’abus des formes étrangères et modernes ne peut que détruire les derniers et languissans élémens de la vie nationale. Beaucoup de gens se rejettent alors vers l’absolutisme et appellent de leurs vœux une forme de gouvernement qu’ils croient au moins capable de maintenir l’ordre ; mais avec quels moyens ? À l’aide de l’armée et des fonctionnaires publics ? ce sont les élémens même des troubles et des révolutions. Comment les dominer et gouverner le gouvernement ? C’est le point de la question. Si quelque idée libérale a pu se glisser dans ce chaos et prendre quelque consistance, pourquoi la détruire et ajouter cette ruine moderne aux anciens décombres ? Le peuple n’a certainement pas trop de vie, gardez-vous d’éteindre, ce qu’il lui en reste. Le malheur de la situation n’est-il dans la rareté des esprits éclairés et des volontés constantes ? Et le despotisme sait-il autre chose que de courber les hommes sous son niveau, dégrader les intelligences et les caractères ? Il n’élève personne, quoi qu’en disent ceux qui font aujourd’hui de la servilité idéale, comme jadis on composait l’âge d’or de la liberté. L’absolutisme portugais ne peut pas être celui de la Prusse, et je ne sais si, au milieu de toutes les passions haineuses et désordonnées qu’il ferait naître, il lui serait possible seulement de maintenir l’ordre matériel. Mais on se rattache à une espérance, au despotismo illustrado ; cette illusion d’un scepticisme honnête est bien plutôt un mot qu’une possibilité. Comment croire, après tant de bouleversemens et au milieu d’une telle démoralisation, que l’on pourra accomplir en Portugal et en Espagne l’œuvre dans laquelle ont échoué M. de Malesherbes et M. Turgot ? On ne gouverne pas seulement avec une idée, il faut des hommes pour la mettre en œuvre. Aucun système n’en exige de plus éclairés, de plus intègres, de plus puissans par le caractère et la position ; celui-là est donc le plus impossible de tous. Choisirez-vous vos fonctionnaires publics parmi les absolutistes ? alors le despotisme illustré courra grand risque d’être tout simplement du despotisme avec sa bassesse accoutumée. S’ils sont libéraux, qui pourra les retenir sur la pente où tout les entraîne ? Un homme peut essayer de rester en équilibre sur un point mathématique ; un parti ne le fera jamais, surtout si la nation demeure impassible et lui laisse le champ libre.

La forme du gouvernement me paraît donc pour le Portugal une question