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poser la loi fondamentale du royaume. M. Passos était un jeune enthousiaste, qui aspirait à gouverner le Portugal par la vertu et l’éloquence ; le vicomte de Sâ, mutilé comme M. de Rantzau et doué d’un rare courage, cachait sous la légèreté de son humeur et sa bravoure aventureuse une ambition tenace et un scepticisme profond. Ces deux hommes ; fort différens de caractère et également étrangers aux passions du parti qui les poussait au pouvoir, suivirent leurs instincts indépendamment l’un de l’autre. M. Passos décréta un panthéon, fit mille ordonnances relatives aux bibliothèques et aux musées, et abolit par philantropie les combats de taureaux. M. Bernard de Sâ détruisit tout ce qu’il put ; son principe était que les choses s’arrangeraient par la suite comme elles le pourraient, et que ce qui était une fois renversé ne se relevait jamais. Les choses allèrent donc ce train jusqu’au mois de novembre sans que les nouvelles cortès fussent réunies, et M. Passos, dont les lois multipliées inondaient la gazette officielle, put se croire un moment le régénérateur du Portugal. Mais, le 3 du même mois, quelques personnes de la cour tentèrent d’opérer à l’insu de tous, même des leurs, une contre-révolution. La reine se rendit secrètement au château de Belem ; de ce lieu elle appela près d’elle l’armée et les gens de sa cour, et révoqua le serment forcé qu’elle avait prêté le 10 septembre.

Cette entreprise, mauvaise en elle-même et impraticable, présentait une difficulté, entre plusieurs autres, qui ne fut pas prévue par les tacticiens du complot : Belem est séparé de Lisbonne par une petite rivière, et les constitutionnels, en s’emparant du pont d’Alcantara, coupèrent toute communication entre le château et les partisans de la charte. Aussi surpris que leurs adversaires, ceux-ci ne s’employèrent qu’à dénigrer l’entreprise, conçue, disait-on, par le ministre britannique. Cette coopération malencontreuse de lord Howard enleva aux chartistes tout désir d’action et accrut l’ardeur des constitutionnels. L’altitude hostile des vaisseaux de guerre de sa majesté britannique n’intimida personne. La crainte du danger n’ébranle pas, elle irrite les factions en armes ; pour agir sur les masses populaires, il faut le danger lui-même. Fiers de leur succès récent, et n’ayant pas encore eu le temps de se diviser, les constitutionnels fortifièrent leur amour de la constitution de la haine contre l’Angleterre, et cette fois le peuple de Lisbonne parut entraîné par un sentiment unanime. Après trois jours, la reine renonça à son dangereux projet, et rentra dans la ville au milieu des acclamations enthousiastes du peuple et des feux de joie. Cette triste échauffourée prouva trois choses ; la solidité du trône de doña Maria, qui n’avait pas été un instant ébranlé par cette folle tentative, l’aversion du peuple pour le joug anglais, et la haine des exaltés contre quelques hommes politiques. M. Freire avait été assassiné au pont d’Alcantara.

Le 18 janvier 1835, après quatre mois et demi d’un pouvoir dictatorial exercé sous l’invocation de la constitution par MM. Bernard de Sâ et Passos, les cortès constituantes se réunirent à Lisbonne. D’après la loi de 1822, elles formaient une chambre unique, et avaient été élues par un suffrage