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LE PORTUGAL.

IV.

Avec le succès des armes de don Pedro, la charte octroyée par lui en 1826 fut inaugurée de nouveau. Elle est, à peu de choses près, la charte française de 1830 ; seulement la pairie est héréditaire, et l’élection à deux degrés a pour base un suffrage presque universel. Cette constitution ne fut pas réellement exécutée pendant la régence de don Pedro ; les circonstances commandaient peut-être alors un régime dictatorial. Tant que ce prince vécut, l’influence de sa personne et le prestige d’un triomphe récent soutinrent le pouvoir, et tous, dans le principe, devaient s’estimer trop heureux, les uns d’être délivrés de la terreur qui les avait accablés, les autres de ce que nulle réaction sanglante ne succédait à leurs attentats. L’absence de tout échafaud politique a légitimé, ennobli le succès des constitutionnels et honoré le triomphe de leur chef. Malheureusement celui-ci commit des fautes dont les conséquences se feront long-temps sentir. Don Pedro était un homme d’une nature particulière ; il avait au moins une qualité qui le place au-dessus du commun des princes : c’était d’aspirer à la gloire. Peut-être l’aima-t-il plus qu’il ne la connut, et sa passion pour les nouveautés ne fut pas toujours heureuse. Il fit un abattis complet de l’ancienne législation et saccagea toutes les lois politiques, financières et civiles. Chaque matin, pendant le siége de Porto, on voyait paraître dans la gazette quelques lambeaux de codes de procédure ou de droit civil de la composition du prince, qui à la fin, et sans que personne s’en doutât, se trouvèrent former les lois nouvelles du royaume. Toutes les attributions judiciaires, administratives et financières, furent bouleversées, et l’on changea jusqu’aux noms des magistratures, confusion qui favorisa extrêmement la vénalité des juges, cette plaie profonde et incurable de la Péninsule. Quant au peuple, il ne ressentit que de l’étonnement et de l’inquiétude. Ces innovations inattendues ne furent ni goûtées ni comprises, et aucun intérêt national compact ne remplaça l’influence des classes dépossédées. Mais ce serait une erreur de croire que ces graves perturbations aient amené les mouvemens qui éclatèrent peu de temps après. Elles n’avaient atteint que le corps de la nation, c’est-à-dire frappé une masse inerte. En Portugal, les sentimens généraux languissent étouffés, tout est livré à l’action des intérêts individuels, et l’on dirait que les vaincus ont cessé d’exister. Don Pedro put même, sans danger, rechercher les querelles avec le saint-siége. Cette puissance avait soulevé de nombreuses difficultés ; il les accueillit avidement comme des moyens de rupture, et tout à coup, au milieu de son orthodoxie, l’église de Portugal se trouva séparée de celle de Rome. Les conséquences de ce schisme eurent peu de gravité ; à peine si les ames pieuses s’en alarmèrent : ce ne fut qu’un voile de plus jeté sur la nuit obscure.

En Portugal, la stabilité et l’ordre dépendent uniquement des questions de personnes. Le chaos est si complet, les bouleversemens sont si profonds et si