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rége et de se dire : Cela est tout autrement fait que ce qu’on peint aujourd’hui ; voilà de la couleur, de la transparence, de la chair, de la vie, de la peinture en un mot. Puis, devant Raphaël, ils étaient tombés dans une pieuse extase ; ils avaient compris les graces pénétrantes de Léonard ; la magique splendeur du Titien les avait émus, transportés, et ils avaient eu l’audace de proclamer tout haut leur admiration. Encouragés par quelques jeunes gens qu’un dégoût instinctif éloignait des ateliers à la mode, ils ouvrirent une école et l’appelèrent Academia degli Desiderosi, ce qui semblait dire : école de ceux qui regrettent le passé, qui méprisent le présent, et aspirent à un meilleur avenir. La nouvelle école déclara donc franchement la guerre aux routines et aux procédés de convention ; elle réhabilita la mémoire et les chefs-d’œuvre des grands peintres. Mais, dès qu’il fut question de passer de la critique à l’action, et d’imprimer une direction à l’art qu’on voulait ressusciter, au lieu de se placer en face de la nature, de l’étudier à nouveau, de la traduire avec un sentiment qui leur fût propre, et de se créer ainsi un style nettement caractérisé, les Carrache crurent que leur mission consistait à fondre et à amalgamer toutes les qualités dominantes des différens chefs-d’œuvre. On eût dit que leur admiration, à force d’être impartiale, ne leur permettait pas de faire un choix, ou plutôt que, désespérant d’égaler le créateur de chaque genre en luttant avec lui sur son domaine, ils préféraient ne lutter avec personne en particulier, et se montrer, sinon plus parfaits, du moins plus complets que tout le monde. Manquant de courage ou d’inspiration pour prendre un parti net et simple, ils s’étaient arrêtés à un parti mixte, ou, comme on dirait aujourd’hui, à l’éclectisme.

Leur tentative n’en eut pas moins un immense succès d’estime ; tous les hommes modérés, et le nombre en est grand après une si longue anarchie, accueillirent avec une joie profonde cette idée de ne rien exclure, d’éviter tous les excès, d’admettre toutes les beautés, de ne copier aucun maître et de les imiter tous. Puis c’était chose si nouvelle, qu’un tableau peint avec soin, étudié, travaillé, fini avec une certaine conscience. Bientôt on ne parla plus que des Carrache : ils furent proclamés, dans toute l’Italie, les restaurateurs de la peinture, les rénovateurs du goût.

Mais leur triomphe devait être bientôt troublé par de violentes agressions ; au sein même de leur école se trouvaient des esprits entiers et résolus que ce régime d’impartialité et de tolérance universelle ne pouvait accommoder. Pour eux, ce n’était rien d’avoir renversé la