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même, qui n’agissaient que sous le manteau du zèle royaliste, se seraient réunis aux honnêtes gens. Il était donc d’une absolue nécessité que Jean VI se prononçât ; lui seul ne pouvait être suspecté. Le doute, ou plutôt l’apparence du doute sur les ennemis réels du roi, faisait seul la puissance des factieux, et il répugnait à la loyauté portugaise de les chercher si près du trône. Malheureusement la crainte que la reine et l’infant inspiraient à ce triste prince, à la fois abandonné et adoré de tous, était si profonde, qu’il n’osait dévoiler leur imposture ; peut-être ne le pouvait-il plus sans danger, il s’était laissé désarmer. Aussi, M. de Neuville le pressait-il de se rendra à bord d’un des bâtimens de guerre étrangers stationnés dans le Tage. Mais ce projet était sans cesse ajourné, quand, le jeudi 6 mai, une vieille femme vint dire au roi, qui tenait son audience publique, que le comte de Villaflor et les autres prisonniers de Saint-George avaient été transférés à Peniche. Jean VI ne se méprit pas sur les intentions de la reine, et, comme il ne lui restait plus rien à livrer à ses ennemis, il se rendit aux sages conseils de M. de Neuville.

Le 7, le roi, dont la terreur avait vaincu un moment l’indécision, monta en voiture et se dirigea du côté du quai de Belem ; là, il aperçut la reine se promenant dans les jardins du château qui bordent le Tage, et sa frayeur fut si impérieuse, que, renonçant à toute tentative d’évasion, il retourna en grande hâte à Bemposta.

D’heure en heure, le danger menaçait davantage ; les prisonniers de Peniche allaient être sacrifiés, la contrainte morale exercée sur le roi pouvait se changer en des liens matériels. Si ses fidèles serviteurs étaient massacrés, son sort était incertain, et, s’il ne s’évadait pas, leur perte était assurée. Il fallait saisir le dernier instant que laissait au roi la sécurité des absolutistes, rendus confians par leur facile triomphe. Ce ne fut cependant qu’après deux jours entiers que Jean VI put se relever de l’anéantissement où l’avait plongé la vue de la reine, et trouver assez d’énergie pour oser fuir. On forma un nouveau plan et, pour rendre toute trahison impossible, l’ambassadeur d’Angleterre, celui de France et M. de Palmella en furent les seuls confidens. Ce dernier, poursuivi et traqué sans cesse par des assassins, s’était réfugié, le samedi 8, à bord du Windsor-Castle.

Le dimanche 9, le roi, sous prétexte d’aller dîner à Caxias, maison de campagne située sur le bord du Tage, s’embarqua sur la galère royale, n’ayant avec lui que les deux infantes et les officiers de service du jour. Pendant quelque temps, il navigua lentement le long des quais de Lisbonne, et une fois parvenu à la hauteur du Windsor-Castle, il ordonna au pilote de se diriger de ce côté. Le monarque à bord, l’étendard royal fut hissé au grand mât, et Lisbonne apprit au même instant que le roi avait été captif et qu’il était libre.

La question ne fut pas un seul instant douteuse. Le mensonge était à découvert, et les conjurés n’essayèrent même pas de résister. L’infant, en arrivant de Queluz, était monté sur un canot pour aller à Caxias, quand, parvenu au milieu du fleuve, il reçut l’ordre du roi de venir prendre ses ordres sans