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généreux diplomate, le remercia avec une tendre effusion et parut retrouver un peu d’énergie. Lord Beresford s’interposait sans cesse entre le roi et le corps diplomatique. M. de Neuville, se tournant alors vers lui : « À quel titre parlez-vous, milord ? lui dit-il ; est-ce comme Anglais ? voilà votre ambassadeur ; est-ce comme Portugais ? voici votre roi ! »

L’ambassadeur de France voulait que Jean VI ôtât immédiatement à don Miguel le commandement des troupes et déclarât publiquement qu’il désapprouvait sa conduite. Tout était terminé, si cet avis eût prévalu ; mais l’opinion de lord Beresford l’emporta en partie, parce que ce malheureux père craignait de déshonorer sa famille en publiant la trahison de son fils. Il fut donc décidé que le roi exigerait seulement que l’infant lui fit des excuses en présence du corps diplomatique. Don Miguel avait déjà fait prévenir son père qu’il allait se rendre à Bemposta ; mais c’était en maître et non pas en suppliant qu’il comptait y arriver. Don Thomas lui apprit que le corps diplomatique était au palais, que lui-même lui en avait facilité l’entrée. Tout étourdi de ce coup, l’infant n’osa tarder plus long-temps à se rendre à Bemposta. En montant les degrés du palais, dans sa fureur puérile, il mordait et déchirait ses gants. Jean VI lui parla d’abord quelques instans en particulier ; après dix minutes d’entretien, ils rentrèrent dans la salle où se trouvaient les ambassadeurs. Le prince mit un genou en terre, et demanda humblement pardon à son père. M. de Neuville déclara ensuite, au nom de ses collègues, qu’ils ne traiteraient avec aucun autre ministre des affaires étrangères que M. de Palmella, dont il réclama la mise en liberté ; l’infant donna sa parole de le délivrer, et la reine, qui jusqu’alors avait suivi silencieusement cette scène de la pièce voisine, ne put se contenir davantage : « Si on lâche celui-là, s’écria-t-elle, tout est perdu. » Puis, sans dissimuler sa fureur, elle repartit pour Queluz. Don Miguel ordonna aux troupes de rentrer dans leurs casernes, et la marche du complot fut un moment suspendue.

Malgré le bouleversement général et l’effervescence causée par un tel désordre, on resta pendant quatre jours dans une situation à peu près indécise, sans qu’aucune explication vînt donner au peuple incertain le mot de l’énigme. M. de Palmella était hors de prison ; mais, ainsi que les autres ministres, il ne jouissait d’aucune autorité. L’infant disposait de toute la force militaire ; ses agens de police et cette sorte de gouvernement d’état de siége qu’il avait nommé au Roscio dominaient à Lisbonne, quand, dans la matinée du 4 mai, on vit paraître un décret qui excusait l’infant, reconnaissait la fable du grand complot, et par le fait mettait les serviteurs du roi à la merci de don Miguel. La teneur ambiguë de ce décret avait été conseillée par lord Beresford et consentie par des hommes modérés qui espéraient opérer une transaction et désarmer l’infant en lui donnant cette satisfaction verbale. Quant à Jean VI, il se flattait, en cédant, d’être souffert sur le trône.

On est frappé, dans les jours qui suivirent, de l’indécision des conspirateurs engagés dans une entreprise aussi téméraire, de leur manque d’ensemble et de leur lenteur. Ces différens caractères, aussi bien que les faits,