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LE PORTUGAL.

ministre républicain, et tous partirent pour Bemposta, en passant par la place du Roscio.

L’infant se trouvait alors au balcon du palais de l’inquisition, ayant à ses côtés le marquis d’Abrantes, don Antonio da Sylveira[1], un lieutenant de chasseurs nommé Païva Raïposo, un avocat père de ce dernier, et des gens obscurs. Il débitait à la populace la fable du complot maçonnique, changeait tous les employés publics, et venait de proclamer un ministère de sa façon, quand l’attention fut attirée vers un des angles de la place par l’approche d’un cortége qui s’avançait lentement ; c’était la voiture du nonce du pape, puis une seconde où se trouvaient l’ambassadeur de France et celui d’Angleterre ; dans une troisième était l’ambassadeur d’Espagne ; enfin, tout le corps diplomatique suivait. Les voitures s’avancèrent à travers la foule qui criait : « Vive le roi ! vive la reine ! vive l’infant ! » — « Vive le roi ! s’écria M. de Neuville se montrant à la portière ; vive le roi ! Portugais, le corps diplomatique va se réunir autour du roi Jean VI ! Vive le roi ! » Qu’on juge de l’effet que dut produire sur cette cabale apostolique la vue de tous les représentans des légitimités européennes, le nonce du pape à leur tête, passant avec dédain devant elle et allant délivrer le roi Jean VI de sa captivité.

À l’entrée de la cour extérieure du palais, les membres du corps diplomatique furent contraints de descendre de voiture, et, quand les ambassadeurs se trouvèrent au pied du grand escalier, des soldats les arrêtèrent ; un officier leur dit avec insolence qu’ils ne pouvaient monter, s’ils n’étaient porteurs d’une carte délivrée par l’infant. M. de Neuville répondit qu’ils allaient chez le roi, que l’Europe ne reconnaissait que le roi, et que l’infant n’était qu’un sujet du roi. Les choses en étaient à ce point, quand don Thomas Mascarenhas arriva. Ce fidèle gentilhomme, quoique aide-de-camp de l’infant, était bien loin de participer au complot. Il courut vers l’officier, et lui ordonna de laisser avancer le corps diplomatique : « Faites entrer messieurs les ambassadeurs ! cria-t-il avec feu. — Par quel ordre ? — Par celui que je vous donne et que je garantis sur ma tête. » L’officier surpris n’osa s’opposer à l’aide-de-camp de l’infant. Les rangs s’ouvrirent, et le corps diplomatique, après avoir traversé les salons déserts, trouva dans la salle du dais le roi, n’ayant auprès de lui que le marquis de Torres-Novas, son majordome, et le maréchal Beresford. Des pleurs inondaient le visage du monarque. Après avoir remercié les ambassadeurs, il dit à voix basse, car la reine écoutait de la pièce voisine : « Je n’ai rien vu, rien entendu, je ne sais rien de ce qui se passe ; je suis en prison, et personne n’a voulu m’assassiner. » Et comme M. de Neuville cherchait à raffermir son courage, il répondit en sanglotant : « Ils ont tué le comte de Subserra. — Non, sire, reprit l’ambassadeur. — Ils l’ont tué ! répéta le roi avec angoisse. — Il est à l’ambassade de France, s’empressa d’ajouter M. de Neuville, et nous saurons bien l’y défendre. » Jean VI saisit la main du

  1. Don Antonio da Sylveira ne doit pas être confondu avec le vicomte de Canellas ; ils ne sont pas de la même famille.