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ses conseils, et surtout ses services intimes et personnels étaient nécessaires à ce malheureux roi ; en frappant le favori, on atteignait le monarque à l’endroit le plus sensible ; son cœur et son esprit étaient abattus du même coup ; il se tut, tout le monde comprit, et chacun imita son silence.

Déjà les partis existaient dans toute leur violence ; mais ils vivaient pour ainsi dire ensemble, et le monde politique n’était pas divisé en groupes séparés : apostoliques et libéraux, tous vivaient pêle-mêle. Avouer ses craintes, c’eût été se déclarer factieux clubiste, et se livrer au poignard des assassins ; aussi personne ne prononça le nom des coupables. Le secret que tout le monde savait était gardé, en quelque sorte, par la population tout entière. Les terreurs de chacun grandirent au milieu du silence et de l’isolement. Pendant ce temps, les absolutistes accusaient les francs-maçons de tous les crimes, et tous les modérés d’être des francs-maçons. On est surpris de voir que le ministère, qui ne pouvait douter de l’assassinat ni de l’intention des assassins, que M. de Subserra, qui avait le couteau sur la gorge, et M. de Palmella, qui dans les circonstances extrêmes est si fertile en ressources, laissèrent à l’infant le commandement de l’armée, à la reine tous les moyens de bouleverser le Portugal et de détrôner le roi. Il faut que dans le conseil il n’ait pas été plus possible qu’ailleurs de dire ce qu’on pensait. Jose Antonio Oliveira Leite, qui fut depuis, sous le nom de comte de Bastos, l’agent le plus ardent du despotisme de don Miguel, en faisait partie. Le roi, qui espérait encore tout apaiser à force de concessions et de silence, n’eût pas souffert sans doute que l’on dit la vérité et que l’on prit les moyens de le sauver ; jamais il n’avait montré tant d’égards à la reine ni témoigné plus de confiance à l’infant. En même temps, il aimait à compromettre ses serviteurs avec eux, et il faisait poursuivre l’instruction du procès, afin d’avoir une arme dont il comptait ne jamais faire usage. La conduite du roi, qui laissait à ses ennemis tous les moyens de l’attaquer en les poussant à de nouveaux attentats, n’eut d’autres mobiles que l’égoïsme et la peur. La reine sut exploiter ces aveugles instincts à l’aide de la calomnie.

Il serait à peu près impossible au narrateur le plus exact de décrire toutes les circonstances et de faire ressortir cette multitude de causes secondaires qui amènent souvent les plus importans résultats. Dans le midi surtout, une foule de préjugés, de passions et de faiblesses individuelles, en dehors de toute logique, dominent les grands évènemens. L’histoire des peuples du nord est presque uniquement celle de leurs intérêts et de leurs idées. L’histoire des peuples du midi est au contraire celle de leurs caprices. Chez les premiers, on peut juger l’humanité, chez les seconds on peut seulement peindre des hommes. Les grands faits politiques s’y passent en quelque sorte à l’insu de la société tout entière. Les principes ne sont que des drapeaux, les paroles sont en contradiction avec les actions, et les actions souvent en désaccord avec les pensées. Qui voudrait écrire sur le Portugal ce que l’humilité des auteurs modernes appelle une histoire providentielle, choisirait le moyen le