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LE PORTUGAL.

aussi, et l’on doit dire à son honneur qu’il fut un des derniers à le violer. Mais il craignait par dessus tout de se mettre à la merci des partisans de la reine, et il n’osait approcher de son fils. Les circonstances étaient impérieuses, le 18e régiment d’infanterie, le dernier qui restât à Lisbonne, accourut sous les fenêtres du roi, le suppliant de se placer à sa tête, et Jean VI fut entraîné presque de force vers Villa-Franca, escorté par une foule immense qui faisait retentir l’air de vivats et d’acclamations. Tout le monde alors voulut être des vainqueurs, et il fallait n’avoir ni un mauvais cheval ni une épée rouillée pour rester à Lisbonne. Arrivé à Villa-Franca, le triste monarque envoya M. de Loule porter à l’infant une lettre qui lui ordonnait de venir aussitôt rejoindre son père. Celui-ci prétendit que le soin de ses troupes le retenait à Santarem. Alors le comte de Subserra et tous les royalistes fidèles quittèrent cette dernière ville pour aller retrouver Jean VI. Les affiliés du parti de la reine étaient encore peu nombreux. L’infant ne pouvait recevoir d’instruction de Ramalhao ; il obéit donc à une seconde injonction, faite par le comte de Subserra au nom du roi, et, pour prix de son obéissance, il obtint le titre de généralissime. Le 5 juin, Jean VI rentra dans Lisbonne au milieu de cris d’enthousiasme qui contrastaient avec l’abattement de sa physionomie. On cloua la porte du palais des cortès, qui s’étaient séparées après avoir rédigé une protestation, et la contre-révolution fut consommée.

Il est assez difficile de se reconnaître au milieu de ces évènemens, dans la confusion desquels s’ébauchèrent les divers partis qui ont depuis dominé en Portugal. Tout se passa si rapidement, que l’on serait réduit aux conjectures si la suite n’avait tout expliqué. La constitution fut détruite, mais les absolutistes ne triomphèrent pas complètement. Jean VI resta sur le trône, des hommes modérés l’y entourèrent. MM. De Malmella et de Subserra formèrent un ministère, le roi promit des institutions libérales, et presque tous les employés des cortès conservèrent leurs postes. Le triomphe de la royauté ne fut donc pas une victoire complète pour le despotisme ; il y a dans l’absolutisme plus de nuances qu’on ne semble en admettre en France. Le but de la reine et de l’infant était manqué ; le roi, en se rendant à Villa-Franca, avait ruiné les espérances de leur ambition. Depuis l’entrée des Français à Madrid, personne ne croyait plus à la durée des cortès, et la véritable et sérieuse lutte avait eu lieu entre le roi et la reine, entre Villa-Franca et Santarem, où les complots de l’infant avaient été étouffés sous le nombre de ses partisans ; on comprendra le désappointement des absolutistes au milieu de leurs chants de triomphe. La chute des cortès ôtait désormais tout prétexte au zèle royaliste. Il fallut donc jeter le masque et recourir à la terreur.

Mais, avant d’aller plus loin, je dois donner quelques détails sur celle qui fut l’ame de tant de troubles et de complots.

La reine Charlotte, contrefaite d’esprit, de cœur et de corps, ne fut pas une épouse fidèle ; les raisons qu’elle se plaisait à alléguer ne sont pas de celles que l’on peut écrire. Je dirai seulement, à cause de l’intérêt politique, que, vers la fin de 1803, ou le commencement de 1804, elle donna à son époux des preuves